SEJOUR DE RUPTURE – CHEMIN INITIATIQUE

Colette LARRA

Cher Jolhan,


Je t’offre ce récit de notre périple ensemble.

Un périple tout en contraste, un duo improbable, de part nos âges et nos façons de voir et d’être différents.

J’ai conscience que tu ne vas pas toujours « te retrouver » et même que tu ne seras pas du tout d’accord ! Et peut-être même que tu seras en colère ! Tant mieux ! Une saine colère transforme et apaise.

J’ai conscience aussi, que je ne t’ai pas toujours compris et que mon côté parfois « moralisatrice » a provoqué des résistances de ta part.
Bref, ce récit n’est pas objectif, il est seulement MA vision et non pas LA vérité, de ce que nous avons vécu ensemble.

Il ne retrace pas non plus, la richesse des échanges que tu as eu avec toutes les personnes que tu as rencontrées et appréciées.

Tu as eu le courage, la volonté pour dire OUI à cette aventure, à cet effort considérable pour gagner ton autonomie à la sueur de ton front, à la souffrance de ton corps et en particulier de tes pieds !

Il a fallu se les cogner ces 500 km et nous y sommes arrivés ! YES !

C’est seulement dans le temps que tu pourras mesurer tous les effets de cette rupture que tu as acceptée. Crois-en ma vieille expérience !

Ces effets seront très positifs et le ferment de ton évolution.

Tu as toutes les capacités pour construire ton avenir comme tu le souhaites.

Alors continue sur cette belle lancée, à l’assaut de l’inconnu, de l’inconfort des situations nouvelles, à l’ouverture, à l’effort, à LA VIE.

Reçois toute mon affection.

Je t’embrasse

Colette

J’ai regardé un jour, une émission de télévision, relatant l’expérience d’une alternative à la prison pour les jeunes, consistant à marcher du nord au sud de l’Italie, accompagné par un adulte. Le jeune présenté à l’émission en était revenu transformé.

Je me suis dis que c’était là une solution intéressante.

Après 3 mois passés en Amérique Latine (Colombie, Équateur, Pérou, Bolivie), en mars 2019, je décide de réaliser ce projet d’accompagnement.

Je cherche sur internet et trouve l’association Seuil qui pratique cette alternative.

Je présente ma candidature et reçois leur réponse :

Bonjour,

Merci pour l'intérêt que vous portez à l'activité de notre association et pour votre offre d'y participer.

Cela fait maintenant quelques années que nous ne recrutons plus d'accompagnants seniors. La raison n'est pas que la relation qui s'établit entre un mineur et un senior, qui disons pourrait être son grand-père ou sa grand-mère, ne présente pas d'intérêt, les jeunes ont besoin de relations avec toutes les générations. Mais nous avons constaté, à l'expérience, que la relation qui s'établit avec un sénior est de nature très différente de celle qui s'établit avec un adulte sensiblement plus jeune. De fait l'aboutissement de la marche n'arrive pas au même résultat.

J'espère ne vous avoir pas trop déçu par cette réponse un peu lapidaire. Mais je préfère dire les choses telles qu'elles et ne pas vous embarquer dans un processus de recrutement assez long dont vous sortiriez frustrée.

Bien cordialement

Je réponds :

Madame,

Je viens de recevoir votre réponse et effectivement, je suis très déçue.

Pour faire le deuil de ce projet, j’ai besoin de comprendre de façon concrète, ce que la relation produit de différent sur le résultat de la marche, entre un sénior et un adulte sensiblement plus jeune ? Sur quoi vous appuyez-vous, quelles sont vos constatations ?

D’avance je vous remercie de bien vouloir me répondre.

Bien cordialement

Demande d’explications restées sans réponse.

J’essaie de proposer ce projet d’accompagnement à d’autres associations :

Elles trouvent l’idée intéressante, mais ne pratiquent pas cela.

A nouveau déçue, je décide d’offrir cette prestation dans le cadre de mon activité d’auto-entrepreneur.

En mars 21, je fais paraitre une annonce d’accompagnement thérapeutique, sur la revue « les zoreilles du chemin ». je lis une annonce au-dessus de la mienne :

BARAYOLE est à la recherche de bénévoles pour accompagner un jeune et marcher en binôme (un adulte pour un jeune) pendant 4 à 6 semaines sur les chemins de Compostelle en Espagne (2 départs par an : septembre et mars). Une équipe éducative de relais et de soutien est présente sur place. L’âge n’est pas le critère premier ; jeune retrai- té(e) dynamique est bienvenu(e). Une formation de 2 journées est or- ganisée avant le départ (la participation à la formation est obligatoire). Accompagnement et formation : tous frais inclus (déplacement, logement, nourriture).
L’association BARAYOLE accueille des jeunes garçons et filles de 13 à 21 ans confiés par le juge des enfants car victimes de carences éducatives de leur entourage. Nos dispositifs d’accueil leur permettent de s’apaiser et de découvrir leurs capacités.

Quel heureux hasard !

Je postule et suis retenue par cette association qui m’accueille en formation 2 jours, en juin 2021.

Il y a longtemps que j’attends et que cela s’installe dans ma tête.

Bien sûr il y a des peurs et plein d’incertitudes.

Cependant, je sens au fond de moi que c’est vraiment ce à quoi j’aspire. Je me sens en accord profond avec moi-même dans ce projet, à ma place.

C’est la concrétisation de deux ans et demi de démarches et préparation.

Comment et pourquoi, cette émission de télévision a eu un tel écho chez moi ? C’est un mystère.

Pourquoi cette idée de réaliser moi-même un accompagnement a-t-elle germée en moi et s’est imposée à la fin de notre voyage de trois mois en Amérique latine ? Les plantes maîtresses que j’ai ingérées m’ont elles inspiré ce projet ? Le fait de voyager inspire-t-il d’autres voyages ?

Et puis cette synchronicité que mon annonce jouxte celle de cette association. Nos conditions de réalisation proposées sont les mêmes : bénévole, avec seulement remboursement des frais.

Puis tout s’est déroulé tout à fait simplement :

  • Lors de l’entretien téléphonique je me suis sentie sur la même longueur d’onde que le président de l’association.
  • Les deux jours de formation en juin ont été enrichissants et nous ont mis face à la réalité et à nos responsabilités.

Suite à cette formation, trois personnes se sont désistées : un homme, qui nous a prévenu par mail. Il trouvait les conditions trop rigides, en particulier financièrement.

Deux femmes aussi se sont désistées. L’une d’elle m’a téléphonée en juillet, elle craignait les conditions de nourriture. Suite à notre conversation d’une heure, elle avait accepté la mission puis, au dernier moment n’a pas voulu satisfaire aux conditions sanitaires Covid.

J’apprendrai plus tard, qu’il y a eu aussi des désistements du côté des jeunes.

J’ai redouté qu’un événement vienne m’empêcher de réaliser cette mission.

Par deux fois, nous avons modifié nos dates de vacances en Corse. Nous en avons profité là-bas, fin août, pour marcher plusieurs heures par jour, en montagne, sur les bords de mer… afin de pouvoir assurer physiquement. De plus, le fait de se nourrir au jour le jour, me remet dans ces conditions, et me donne confiance en moi.

Mon compagnon adhère pleinement à mon projet, et c’est très apaisant pour moi. Il m’a toujours encouragée et aidée dans mes démarches. C’est la première fois que nous nous séparons si longtemps, depuis huit ans que nous vivons ensemble.

Ce dernier mois, j’ai souvent imaginé ce, ou cette jeune, évoluant de son côté et jusqu’à notre point de rencontre. J’ai demandé de préférence une fille, il me semble que je me sentirais plus à l’aise. Dans quel état d’esprit est-elle par rapport à ce séjour ? J’imagine plein de scénarios et en même temps, je sais que ce ne sera pas comme je l’ai imaginé.

Je souhaite avant tout pouvoir créer un lien avec « elle/il », de bienveillance, d’attention et de respect des règles.

J’ai retenu qu’il fallait avoir beaucoup de discernement et de patience pour répondre au mieux aux situations. Le but est que ce jeune s’apaise.

Dimanche 5 septembre 21

Enfin, c’est le jour du départ. Je quitte Toulouse en bus pour rejoindre Niort où Marie Colombe me récupère et m’emmène au gîte. Je retrouve là, les autres accompagnants.

Lundi 6 septembre 21 – journée formation

Nous sommes cinq accompagnateurs, je suis la seule femme.

Anne-Françoise et Jean-Pierre partiront peut-être dans une semaine, deux jeunes se sont désistés et une commission d’admission de deux autres jeunes doit avoir lieu.

Trois accompagnants partiront sur le Camino Norte, et deux sur le Camino francés (Pascal et moi). C’était mon souhait.

Le budget alimentation est basé sur une moyenne de 15€/jour pour nous deux. Celui du logement de 12€/nuit pour chacun.

L’après-midi, nous avons fait des jeux de rôle. Je m’y suis collée avec une situation où le jeune ne voulait plus avancer. Il en ressort que je n’ai pas assez écouté pour savoir exactement pourquoi. Par contre on m’a trouvé douce et affective.

C’est en fin d’après-midi, après nous avoir jaugé, que l’on nous attribue un jeune.

Pour moi ce sera Jolhan, bientôt 18 ans.

C’est un placement administratif, un choix de la famille : un couple divorcé, une maman étouffante.

Jolhan est toujours devant les jeux vidéo et ne va plus en classe.

Il a eu une scolarité normale, n’est pas délinquant, pas drogué, ne fume pas, ne boit pas, est sociabilisé.

Il a besoin d’ouverture, d’avoir des échanges, d’être nourri intellectuellement.

Il risque d’avoir des angoisses, il n’est pas sportif.

Je suis très soulagée et contente de ce panorama.

Mardi 7 septembre 21 : de la Vendée à Burgos

Longue journée.

Jolhan et sa famille sont arrivés en retard, vers 10h30 et l’éducateur commençait à s’inquiéter.

Il pense qu’il est mieux que la mère ne soit pas en contact avec moi. Aussi j’attends à l’étage, pendant qu’ils revoient ensemble des règles, l’administratif, le contenu du sac.

Puis quand les parents sont partis, l’éducateur vient me chercher à l’étage et me présente à Jolhan.

Je lui dis que je suis très heureuse de partir avec lui et que nous allons partager une belle aventure.

Il se montre très ouvert, et en même temps, il me répond qu’il a du mal à parler, et qu’il a des angoisses relationnelles.

Il est grand et mince comme une asperge (lui dit : comme un cornichon !)

Il dit manquer totalement de confiance en lui et que c’est très compliqué dans sa tête. Il dit aussi ne pas aller au bout de ses projets. Je lui assure que nous allons réaliser cette marche jusqu’au bout.

Il est motivé, et met de la bonne volonté dans ce projet. Il jouait à des jeux vidéo toute la nuit et se couchait quand les autres se levaient vers 6 - 7 h du matin. Il s’amusait souvent avec des Canadiens qui ont 6h de décalage horaire avec nous.

A être toujours dans la même position devant son écran, les jambes légèrement repliées, font que les muscles de ces jambes s’ankylosaient.

Cependant il se dit « non dépendant ». C’est une façon pour lui d’être en lien social avec les autres.

La veille, sachant qu’il allait partir, il s’est couché à 3h du matin.

Il dit ne pas comprendre sa mère et sa belle-mère. Elles sont incohérentes. Ils n’ont pas du tout la même logique.

Il me semble d’emblée qu’il a un haut potentiel intellectuel, avec sans doute, un déséquilibre avec l’émotionnel et la sensibilté. D’ailleurs, il dit : « perdre ses émotions les unes après les autres ». Il aurait grand intérêt à passer un bilan psychologique (tests QI, raisonnement perceptif…), dont les résultats pourraient lui donner confiance en lui.

L’éducateur, Jolhan et moi partons en direction de Burgos avec un véhicule de service. Nous arrivons vers 19 heures. Le gîte où nous avions prévu de dormir est plein. Il faut en trouver un autre. S’en suit l’installation, les courses, le repas, la douche…

Mercredi 8 septembre 21: de Burgos à Rabé de las Calzadas : 12 km

L’association nous fournit une feuille de route. Nous savons l’étape que nous devons faire, le nombre de kilomètres et l’auberge dans lequel nous devons réserver. En effet nous sommes séparés du binôme précédent de deux étapes et nous ne devons pas nous rencontrer.

Pour notre petit déjeuner : du lait et du riz soufflé. Jolhan n’a pas un gros appétit.

Nous partons à 8h. La cathédrale ouvre à 10h, nous ne pourrons pas la visiter.

Jolhan m’explique que s’il n’avait pas fait cette marche, il aurait fait un stage de survie dans le nord du Canada.

Nous demandons notre chemin pour trouver la sortie de Burgos. Plus tard nous apprendrons que nous n’avons pas été les seuls à chercher. Puis le chemin est bien balisé.

Ce matin, alors que je colle des bouts de sparadrap sur les deux endroits sensibles à chacun de mes pieds, il m’assure que lui, non, il n’a pas de problème : tant mieux !

Après environ 5 km, Jolhan a une ampoule au pouce du pied. Nous posons un pansement. Puis peu après, tous les dessous des orteils sont douloureux, ainsi que les muscles des jambes.

Nous commençons ce premier jour par une exception. En effet Jolhan n’est pas en mesure de marcher les 20 km prévus. Aussi, avec l’accord de la coordination, nous coupons l’étape en deux.

Jolhan a souvent besoin de s’arrêter pour se reposer. Il ne comprend pas que les pèlerins ne s’arrêtent pas plus souvent. 10 kilomètres lui semblent incroyablement long. Quand il découvre que les pèlerins marchent en générale entre 20 et 30 km par jour, il n’en revient pas.

A Tardajos, à 10 km, l’auberge est fermée au pèlerin pour cause de Covid.

Nous prenons notre repas : une part de tortilla et de tarte, faisons quelques courses pour le repas du soir et le petit déjeuner du lendemain ; nous poussons 2 km plus loin pour trouver un gîte.

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Jolhan se douche et dort jusqu’à 17 heures, pour se recoucher à 20h. Il est fatigué, mange peu.

Ce séjour de rupture porte bien son nom. C’est très violent pour lui. Il était à l’envers, il est en train de se remettre à l’endroit !

Je me motive et j’essaye de l’entraîner à profiter de notre séjour en Espagne pour apprendre la langue. Nous avons tous les deux des bases. Nous essayons de déchiffrer le journal ensemble.

Nous formons une équipe de choc. Moi âgée et la peau tannée avec un jeune qui sort enfin à l’air libre plus blanc que blanc. Nous étions faits pour nous rencontrer, nous sommes tout en opposé !

Jeudi 9 septembre 21 : de Rabé de las Calzadas à Hornillo del camino : 8 km

L’aubergiste ouvre la porte de notre chambre et nous dit : « Bonjour ! » Une façon de nous signifier : « Il faut y aller ! »

Nous quittons les lieux vers 7h30. Une demi-heure de marche plus tard, je m’aperçois que j’ai oublié mes bâtons au gîte. Je laisse Jolhan avec les sacs et retourne au départ. Je le trouve fermé. J’essaye de téléphoner, personne ne répond.

Je reviens vers Jolhan en pensant que ce n’est pas très réglementaire de l’avoir laissé ainsi seul. Pourtant je sens dès ce deuxième jour que je peux lui faire confiance et cela ne se démentira jamais.

Nous déjeunons sur une aire avec tables, bancs et source d’eau à la pompe. Nous mangeons là notre reste de jambon, du fromage et un yaourt.

En cours de route je m’applique à lire les panneaux explicatifs sur la région. C’est une bonne façon, je trouve, d’apprendre du vocabulaire, celui-ci étant souvent proche du français. Il n’en est pas question pour lui. Il a sans doute ressenti ma proposition d’apprendre l’espagnol comme une pression, aussi sa réaction est de résister. Ça ne l’intéresse pas. L’anglais, oui, mais pas l’espagnol  !

Il me parle de son « anxiété sociale », et  aussi du fait qu’il se trouve toujours en échec, et de son état dépressif.

Au moins avec les jeux vidéo, il est gagnant et cela lui procure du plaisir.

Jolhan demande une pause car il a mal aux épaules. Plus loin, nous rencontrons un Coréen du sud, depuis trois ans à Paris.

Jolhan se met à discuter avec lui en anglais, il parle couramment cette langue. Cela me fait très plaisir, et à lui encore plus, car il va pouvoir parler à beaucoup de monde sur le chemin.

Il remarque qu’il n’a pas pensé à ses douleurs durant le temps d’échange avec lui.

Quand je lui dis que cette marche est faite pour trouver ou retrouver le goût de l’effort, ll me répond qu’il l’a, mais ne va pas jusqu’au bout.

Il voit un psychiatre depuis 6 ans, ne prend pas de médicament.

Selon ses paroles, c’est parce qu’il a la flemme qu’il ne fait pas les choses. Ce mot revient souvent dans sa bouche. Effectivement, je constate par exemple, qu’il a la flemme de prendre sa polaire dans son sac à côté de lui, alors qu’il a froid.

Jolhan m’a parlé suicide : Il souhaiterait ne pas être regretté aussi, il ferait en sorte d’avoir une attitude qui dissuade le chagrin.

Cependant, quand on aime une personne, quelque soit son comportement, on l’aime sans condition, elle compte beaucoup pour nous, peu importe sa conduite.

Nous arrivons à notre étape de la journée à 10h 15. Heureusement, l’aubergiste accepte nos sacs.

Jolhan ayant besoin de s’assoir, nous allons à l’église, juste à côté du gite. Par hasard, la messe commence et nous y assistons. Il y a seulement 5 autres femmes à l’office.

A la fin, il me dit que c’est vraiment sectaire : « Pourquoi sectaire ? » « Ils ne font que pratiquer les rites correspondant à leur croyance ». Une discussion s’en suit. Il pense qu’après notre mort, notre âme va dans un autre corps.

A midi, nous allons faire quelques courses à l’épicerie. Nous y rencontrons 3 couples de français et nous mangeons ensemble.

Jolhan n’a pas de mal à dire pourquoi il est là.

Quand à moi, j’affirme que j’ai beaucoup de chance : il n’est pas délinquant, ne fume pas, ne boit pas, ne se drogue pas…

En effet, il  est formellement contre les drogues et le tabac. Cependant, bizarrement, l’abus d’alcool, à l’occasion, le tente.

Nous goûtons des mûres sur un arbre, pour moi, c’est la 1ère fois.

Jolhan a besoin de beaucoup dormir. Mais en déambulant dans le village, on nous informe d’un concert, ce soir, dans un bar, d’une chanteuse et sa guitare.

Nous préparons notre repas en nous servant pour la 1ère fois du réchaud. Est-ce vraiment nécessaire de le transporter ? C’est un poids conséquent dans notre sac. Ce soir, un bol de pâtes, des œufs durs, des fruits.

Puis à 20h, nous allons au concert, et pour la 1ère fois, nous consommons une boisson.

Nous rencontrons et discutons avec d’autres français. Décidément, il y en a beaucoup aujourd’hui, une dizaine.

La chanteuse a une très belle voix, nous passons une très agréable soirée.

Vendredi 10 septembre 21 de Hornillo del camino à Castrojeris : 20 km

20 km, c’est vraiment beaucoup pour Jolhan ! Mais la coordination a refusé de modifier encore le planning établi. En effet, nous sommes plusieurs binômes à nous suivre avec 2 étapes d’écart et un nouveau changement dérangerait l’organisation.

Nous avions décidé de nous lever en même temps que les deux autres personnes de la chambrée.

En sortant du gîte, nous nous apercevons qu’il fait nuit, il est 6h30 ! Heureusement, Jolhan a une lampe frontale qui nous rend bien service.

Le jour se lève à 7h20. Nous nous dirigeons sans problème et cela s’avère fort agréable.

Nous rencontrons Barbara et discutons un moment avec elle.

Je laisse à Jolhan l’initiative de s’arrêter quand il en a besoin.

Nous prenons notre petit déjeuner « copieux » assis sur des bottes de foin : œuf dur, lait et céréales. Il fait frais et nous avons besoin de notre veste.

Plus loin, nous rencontrons les deux femmes françaises qui étaient la veille au concert. Nous marchons et prenons notre repas de midi ensemble.

Un pèlerin arrive en sens inverse : Charles, intermittent du spectacle, revient de Saint-Jacques. Parti de paris, il marche depuis 3 mois, 2600 km dans les pattes. Nous sommes impressionnés !

La fin du parcours est très pénible et douloureuse pour Jolhan. Il n’en peut plus, est au bout du rouleau. Il va de suite au lit, sans se doucher comme je le lui conseille.

Pour moi : douche, lessive, discussion avec les pèlerins, écriture…

Je reçois un coup de fil en espagnol, je saisis qu’il s’agit d’une réservation mais je ne comprends pas tout. Je finis par passer le téléphone au gérant de l’Albergue.

En fait, j’ai réservé au N° 79 et nous nous sommes installés par erreur au N° 77 la porte juste à côté.

Sauf que les deux propriétaires sont visiblement à « couteaux tirés » et je suis « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Ils s’engueulent dans la rue, nez contre nez, comme Astérix et Obélix. La situation serait comique si ce n’était de ma faute.

L’aubergiste me propose de changer de gite, il me remboursera intégralement. Mais ça n’a pas de sens : les lits sont préparés, Jolhan dort, le linge est étendu … je décide de rester où je suis. Alors ils recommencent à s'invectiver nez à nez. Ils vident leur sac qui était manifestement bien rempli. Avec sa femme nous assistons longtemps à leurs invectives, impuissantes à les séparer.

Je préviens la coordination de notre changement d’adresse inopiné.

Nous mangeons nos restes sur la terrasse avec un couple de Français.

À 20h le propriétaire organise une visite de sa cave. Il faut dire qu’elle n’est vraiment pas ordinaire.

Avec Jolhan nous sommes volontaires pour actionner le pressoir (ci-dessus), 4 pierres datent du 1er siècle, des voûtes style roman, style gothique, des passages, des escaliers… Cette cave a servi de réserve à grains, et à vin...

En effet, nous sommes au cœur de La Meseta, ce haut-plateau, dans les 800 m d’altitude, qui représente une portion de 200 km à parcourir dans un paysage quasi désertique. C’est le « grenier à pain » de l’Espagne, les champs de blé à perte de vue composent les paysages.

Le propriétaire, comme pour l’engueulade, nous raconte tout cela de façon très théâtrale, « à la Astérix ». Mais là, c’est très divertissant !

Lorsque qu’à la fin de la visite, il propose à chacun une dégustation de vin, je m’interroge du « comment me sortir de cette situation ? ». En effet, l’alcool nous est interdit. C’est Jolhan qui prend la parole pour dire : « Nous, on n’y a pas droit ». J’apprécie grandement et le lui dis le lendemain.

Samedi 11 septembre 21 : de Castrojeris à Itero de la Vega : 11 km

Réveil en musique, très agréable.

Cependant j’ai un peu la tête à l’envers.

Nous aurions oublié un sac de nourriture sur la terrasse et un sweat à Jolhan si l’aubergiste ne nous les avait pas rapportés.

Départ à 8h

Dans la ville, au moment où nous nous renseignons pour trouver une alimentation nous y sommes justement devant. Il faut sonner. On vient nous ouvrir. J’oublie de demander la note ! Décidément, ce matin !

Une grande montée nous attend.

Nous déjeunons de yaourt et de riz soufflé avant de l’attaquer.

Nous nous arrêtons souvent à la demande de Jolhan.

Il a mal aux pieds.

Il s’étonne encore que les pèlerins ne s’arrêtent pas souvent.

Arrivé à Itaro, nous nous installons au dortoir et allons faire nos courses pour le repas de midi. Nous mangeons devant le gîte.

Jolhan se montre particulièrement pessimiste et rebelle. Il se plaint de ne pas pouvoir aborder les gens pour discuter avec eux, qu’il nomme « anxiété sociale ». Je lui réponds qu’il fait une fixette à ce sujet.

Des Français sont près de nous, je leur demande si nous pouvons nous joindre à eux et la discussion s’engage entre l’un deux, qui vit aux alentours de Toulouse, et Jolhan.

Il a un enfant surdoué et il repère de suite que Jolhan est à haut potentiel. Je trouve son discours très adapté et juste avec lui.

Cet homme a eu un enfant trisomique décédé. Ce qui amène Jolhan à parler de sa mère qui a subi un avortement parce qu’elle attendait un enfant trisomique.

Il tient des propos très durs envers sa mère à ce sujet. Il lui en veut d’avoir recouru à un avortement. Lui aurait aimé avoir ce frère ou cette sœur : « Je m’en serais occupé », dit-il.

Cet homme lui dit que par négligence médicale, ils n’avaient pas su avant la naissance. Il dit très calmement aussi que 80% des pères quittent femme et enfants dans ce cas, tant c’est difficile à vivre.

Je lui fais part de notre réflexion à ce sujet avec mon mari. Nous avions décidé ensemble, que si nous attendions un enfant anormal, je me ferais avorter. Et nous l’aurions fait sans culpabilité.

.Jolhan va dormir de 15h à 18h.

Pendant ce temps je fais les comptes, j’écris.

Puis je discute encore longtemps avec ces deux hommes.

Nous allons faire nos courses du soir.

J’aborde un français dont j’ai entendu dire qu’il avait fait cinq chemins de Compostelle différents. Une manière de faire le lien entre lui et Jolhan. Dady nous explique.

Puis comme il part manger avec un groupe de français, nous nous joignons à eux.

Sur une table d’un parc, nous sommes 7 à discuter en mangeant.

Jolhan parle de lui et chacun lui fait part de son expérience. Dady, 70 ans, à la longue barbe blanche, échange longuement avec lui. Il lui demande de méditer sur la maxime : « Le touriste exige, le pèlerin remercie ».

Finalement, nous avons passé un excellent après-midi et une belle soirée d’échange.

Dimanche 12 septembre 21 de Iteros de la vega à Fromista : 14 km

Nous partons au lever du jour. Les premières heures sont très agréables. Nous allons d’un bon pas, silencieusement. Jolhan décide de déjeuner : yaourt, pêche.

Il n’y avait pas de papier hygiénique sur la liste à emmener dans le sac à dos pour Jolhan. Je vais lui prêter le mien. Je lui explique qu’il y a un sac pour récupérer le papier utilisé et ne pas le laisser dans la nature.

Je lui annonce à l’occasion : « Je vais faire mes besoins », en m’éloignant du chemin.

En ce qui le concerne, Jolhan s’éloigne une seule fois sans succès. Il m’explique qu’il est constipé chronique et de toute façon trop pudique pour faire ses besoins dans la nature.

Ce qui n’est pas facile à vivre, ce sont ses oppositions systématiques à tout ce que je dis. « Tu as tort, j’ai raison » et il m’explique.

On dirait qu’il a 2 ans ½ et qu’il vient de découvrir le NON. Mais dans 2 mois, il sera « majeur et vacciné ». Aussi je lui conseille de choisir maintenant ses combats.

Il m’a aussi expliqué que pour lui, c’est pas bien de se mettre en colère. Aussi, il reste apparemment toujours zen, mais il aime titiller l’autre pour le faire sortir de ses gonds, appuyer là où ça fait mal pour lui faire perdre ses moyens…ça l’amuse !

Il aime argumenter, mais je sens que c’est dans le but de prouver toujours et sans relâche : « J’ai raison, tu as tort, et je te le prouve ». Je sens une recherche de pouvoir sur l’autre. A mon sens, ce n’est pas constructif.

Je comprends qu’il préfère faire porter ses colères aux autres et je retiens la leçon pour moi.

Je lui dis qu’à mon avis, il est normal et bon d’exprimer sa colère comme toute autre émotion. La colère est une énergie de changement chez soi. Mais, bien-sûr il n’est pas d’accord.

Aussi à chaque opposition à ce que je dis, il m’explique son point de vue et je ne réponds pas pour ne pas surenchérir et provoquer une montée en puissance.

Cependant, je ressens un blocage à la communication. Les discussions s’amenuisent.

Et même quand je me contente de reformuler ses dires, il n’est pas d’accord !

J’essaie de lui expliquer le côté malsain de cette façon d’échanger. Le triangle dramatique : bourreau, sauveur, victime. Il dit : « Tu m’agresses : tu es bourreau, je suis victime ». Je réponds : « Je passe bourreau, tu deviens victime… », et pour moi, ce qui sous-tends ces jeux psychologiques : la recherche du pouvoir sur l’autre !!!

Il est justement très sensible et contre la recherche du pouvoir dans la société, ainsi qu’à celui de l’argent.

J’objecte : « Mais la société, c’est toi, c’est moi. Ramenons cela à nous et cherchons en quoi, chez nous, nous pouvons changer cela… », mais bien-sûr, il n’est pas d’accord sur cette façon de voir. Et nous voilà embarqués dans un « Oui, mais » du persécuteur/bourreau

Il dit qu’il est pessimiste, je confirme.

Il m’explique qu’il met les gens dans des cases, cela l’aide à les comprendre.

A Boadilla del Camino, il n’y a pas d’alimentation ouverte. C’est dimanche. Je me fais du souci pour trouver la pitance pour le midi et ce soir.

Jolhan s’arrête souvent, surtout sur la fin du parcours. Il a mal aux pieds. Cependant il n’a pas d’ampoules.

À l’entrée de Fromista, dans un bar-restaurant, nous achetons des sandwiches, un gros pour Jolhan, un moyen pour moi. Ils sont bien remplis et vont nourrir nos estomacs le midi et le soir. De plus, Jolhan peut utiliser leurs toilettes.

Nous arrivons à 13h et attendons sur un banc l’ouverture du gîte.

Je suis étonnée de ce besoin de Jolhan, d’être toujours en lien avec les autres et nous en discutons. En ce qui me concerne, je suis bien avec moi-même lorsque je suis seule. Ce n’est pas le cas pour Jolhan. Il dit ne pas s’aimer. A travers les jeux vidéo, en fait, c’est le lien avec les autres qu’il recherche.

Il ne s’aime pas et ne se trouve pas beau. Aussi, la casquette qu’il porte constamment lui permet de se cacher.

Pourtant, il fait rire ses amis, en leur envoyant de petites vidéos. D’ailleurs, avant de partir il n’a pas rempli son contrat ; il leur en avait promis une nouvelle vidéo. Jolhan avait beaucoup apprécié une activité cinéma au lycée.

Un monsieur de 86 ans marche sur ce chemin. Il nous montre ses 16 Compostellas photographiées sur son téléphone portable ! Incroyable ! il marche environ 10 km/jour.

Jolhan rouspète contre la feuille de route qui ne nous permet pas de choisir nos étapes nous-mêmes, ni nos gîtes. Je lui réponds que ce sont des détails par rapport aux six mois qui lui sont offerts pour réfléchir sur son avenir. Souviens-toi de ce que t’a dit Dady, hier soir : « Le pèlerin remercie ». Mais d’après Jolhan, ce n’est pas du tout ça qu’il a voulu dire. Cependant, je n’ai plus entendu de plainte à ce sujet, par la suite.

Je discute avec un français de Nantes, Christian puis avec trois autres françaises. Je vais chercher Jolhan pour qu’il profite de la rencontre. Il discute beaucoup avec Yvette puis plus tard avec Évelyne.

Lundi 13 septembre 21 : de Fromista à Carrion de los Condes : 19 km

Nous partons avec Yvette et Marie et marchons très bien et vite avec elles, durant une dizaine de kilomètres.

Jolhan a envie d’aller à la selle mais refuse de faire dans la nature. Aussi nous allons dans un gîte mais nous perdons nos compagnes.

Par la suite, il s’arrête beaucoup plus souvent, mais nous ne sommes pas pressés et arrivons vers 12h15. Jolhan est exsangue.

Nous avons très peu parlé ce matin.

Je lui ai cependant dit, qu’il a une très grande aisance sociale, que la difficulté à aborder les gens qu’il nomme « anxiété sociale » est « une pichenette » en comparaison. Alors, qu’il s’enlève cette étiquette, qui ne lui correspond vraiment pas. Et je n’en entendrai plus parler !

.Le gîte indiqué par l’association étant complet nous allons à « Espiritu Santo ».

Nous y retrouvons Yvette et Marie pour le repas de midi.

Jolhan ne mange pas sa tomate à la croque-au-sel. Pour lui il doit y avoir autre chose avec, pour être mangeable.

Je lui conseille vivement de faire sa lessive, car la pluie va arriver et le linge ne sèchera pas. Il n’est pas d’accord, il a fait beau jusqu’à présent ; il ne voit pas pourquoi il pleuvrait ! : « Le climat ne change-t-il jamais Jolhan ? »

Il consent à faire sa lessive, puis il reste au lit tout l’après-midi. Je vais seule faire les courses, le laissant se reposer. Puis je me promène dans la ville avec Yvette et Marie.

Pour le repas du soir j’ai acheté un avocat à mélanger avec la tomate. Alors Jolhan mange la tomate, mais pas l’avocat, car il y a très longtemps qu’il n’en a pas mangé.

Plus tard je lui suggèrerai qu’il profite de cette rupture pour goûter à tout, changer ses habitudes, s’ouvrir à l’inconnu, avoir l’esprit ouvert.

Mardi 14 septembre 21 : de Carrion de los Condes à Ledigos : 23 km

Cette étape me fait souci à plusieurs titres :

  • Pour Jolhan c’est la plus longue et il pleut.
  • Je sens, par moment, des douleurs dans ma hanche gauche

Nous partons de nuit vers 6h45. Les premiers kilomètres se passent bien et en silence. Toutefois, avec une cape de pluie, c’est difficile à vivre.

Puis, Jolhan, qui ne peut pas faire autant de pause que par temps sec, se plaint, avance très très lentement. Il est au bout du rouleau.

Sans rien dire, je me mets à son rythme, en empathie. Les pèlerins qui passent devant nous, nous demandent s’ils peuvent nous aider. Mais non, ils ne peuvent rien pour nous. Nous devons aller jusqu’au prochain village estimé à 3 km. Il n’y a pas d’autres solutions. J’anticipe dans ma tête que, de là, j’appellerai la coordination qui nous emmènera en voiture, à l’étape. De plus je pense, au vu de l’état de Jolhan qu’il ne voudra pas repartir demain. J’ai l’impression que notre voyage va s’arrêter là.

Un lacet de ses chaussures s’est défait, il refuse de le lacer. Plus tard, un pèlerin s’agenouille devant lui pour le lui lacer. Cette attention est très touchante.

Je lui propose d’avancer du mieux qu’il peut, d’allonger ses pas, s’il peut, car si nous faisons du 1 km/heure il nous faudra trois heures pour atteindre le prochain village.

Enfin le village de Calzadilla de la Crueza apparaît plus rapidement que prévu et avec un bar à l’entrée du village.

Nous posons enfin nos sacs et nous commandons chacun un sandwich. Nous allons nous asseoir à une table ou des gens parlent français.

Il s’agit de libanais, enchantés par ce chemin. Ils nous disent, avec beaucoup de conviction, apprécier chaque kilomètre qu’ils parcourent : « Quelle chance tu as de faire ce chemin à ton âge » lui disent-ils. Nous restons sans voix tant le contraste est énorme entre leur ressenti et celui de Jolhan.

Nous commandons un café, puis je me hasarde à lui dire : « On y va » ? À ma grande surprise il se lève et nous repartons pour les 6,5 km restants. Il marche rapidement comme au petit matin. Je lui fais remarquer que c’est son mental qui avait lâché, ce n’est pas un problème de jambes ou de pieds. Il ne peut pas dire le contraire !

A l’albergue Morena, les lits-cases nous plaisent bien.

La cuisine n'étant pas accessible, pour cause  de  Covid, nous prenons notre repas dehors, sur une  table abritée de la pluie.

Marie Colombe, la coordinatrice, vient faire le point de cette première semaine, avec nous cet après-midi. Elle commence avec moi, seule, puis avec Jolhan, seul, enfin tous les trois. Nous lui rendons compte aussi sur les dépenses de la semaine.

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Pour moi, en ce qui concerne l’accompagnement la balance est positive : « Vous arriverez à Saint-Jacques » me dit-elle.

Jolhan est agréablement surpris ; il avait imaginé Marie-Colombe plus rigide, étant donné la feuille de route très précise.

Elle m’a ramenée mes bâtons oubliés le 2ème jour. Merci, Marie Colombe.

Jolhan s’est choisi un livre à lire. Il s’est aussi délesté de vêtements qui ne lui servent pas.

Il a beaucoup discuté avec une pèlerine et s’est amusé avec le chat du gîte.

Nous avons récupéré une recharge de gaz et pouvons nous faire chauffer une soupe, accompagnée de fromage et de raisins secs.

Mercredi 15 septembre 21 : de Ledigos à Sahagun : 16 km

Je demande à Évelyne si elle veut bien que nous marchions à ses côtés, ce matin. Départ huit heures. Jolhan prend un café, moi un chocolat au lait avant de partir.

Tous les trois nous marchons très bien, et discutons ensemble tout du long.

Jolhan parle beaucoup de son papa. Il a beaucoup d’estime pour lui, une grande admiration. Un jour que je le lui fais remarquer, pour une fois, il confirme en me disant qu’il l’estime et le respecte. Il aime discuter avec lui, son papa ne s’énerve jamais.

Il a une philosophie bouddhiste, fait beaucoup de randonnées…

Il est ingénieur dans l’automobile et en reconversion. Il est en formation et va monter son entreprise de réparation des 2 roues.

Je sens qu’il est une grande ressource pour son fils.

Jolhan me dit que son père a eu du mal à accepter quand il est devenu plus grand que lui.

Il me dit aussi qu’il ne pourra jamais être comme son père et semble le regretter : « Et bien oui, tu seras différent et pas forcément moins bien. Et même peut-être encore mieux ! »

Sa mère a un problème au dos, reconnu comme un handicap et ne travaille plus. Elle n’a aucune relation avec sa famille. Il la trouve trop à ses petits soins, elle ne lui laisse pas assez d’autonomie.

Je souligne que les tords sont partagés, il peut très bien lui dire qu’il va nettoyer sa chambre, les communs, ou faire les courses… c’est trop facile de reporter la faute sur l’autre.

Il se demande si elle aura pris de ses nouvelles auprès de l’association.

Il a une sœur de trois ans de plus que lui, avec lequel il s’entend bien malgré leurs différences de caractère. Il a des cousins cousines du côté de son papa.

Jolhan aime beaucoup les animaux, les singes plus que tous.

Il ne pleut plus, le soleil arrive même en fin de matinée.

Nous traversons de beaux paysages vallonnés. Du blé encore et aussi des tournesols, de la vigne.

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Nous apercevons des caves typiques servant de réserve d’alimentation et aux tonneaux de vin vers San Nicolas del Real Camino.

Nous faisons quelques arrêts. A l’approche de l’arrivée Jolhan ressent la fatigue.

Nous retrouvons les Français avec lesquels nous avions mangé le soir, à Itéro de la Vega. Ils ne sont pas dans le même gîte que nous ce soir. Jolhan veut aller les voir dans l’après-midi. J’accepte. Nous décidons qu’il devra être de retour à 17h, heure d’une réunion entre pèlerin qu’il respecte scrupuleusement. Cependant, je me rends compte que je suis responsable de lui et que je ne devrais pas accepter. Je lui en fait part après coup.

Nous sommes très bien reçus au gîte religieux donativo de Santa Cruz. Jolhan est très admiratif des bénévoles qui nous reçoivent et qui parlent plusieurs langues pour s’adapter à chacun. Il repère leur accent. Les lieux sont très confortables. Nous sommes seuls tous les deux dans une chambre avec salle de bain.

Nous allons faire les courses. Jolhan n’est pas compliqué et nous n’avons pas de mal à nous mettre d’accord. Il se régale de lasagnes et saucisses que nous pouvons faire chauffer à la cuisine.

Après ce bon repas, il va prendre sa douche en premier.

Il inonde la salle de bain en ne mettant pas le rideau à l’intérieur de la baignoire.

Il me présente la chose de façon très typique de son caractère :

Je vais t’expliquer les précautions à prendre pour prendre ta douche : tourner le jet vers le mur…

Je lui demande d’aller rapidement chercher une éponge à la cuisine pour écoper. Puis il va demander une serpillière car ce n’est pas suffisant.

Enfin, c’est moi qui lui explique qu’il faut veiller à ce que le rideau soit tout simplement à l’intérieur de la baignoire.

A 17h, les pèlerins sont réunis autour du prêtre et chacun explique ses raisons de marcher sur ce chemin. Les interventions se font en anglais, je suis la seule à parler français, mais je comprends à peu près les échanges. Je sens que Jolhan se fait une identité de ne pas aimer marcher. Ce fait le rend original, et le distingue sur ce chemin.

Je lui conseille de participer à la messe qui suit, où les pèlerins seront bénis. Il revient heureux des discussions qu’il a eues avec le prêtre. Il lui a promis qu’il afficherait sa photo dans le gîte, s’il arrivait à Santiago.

Pendant ce temps, comme tous les jours, je téléphone à mon conjoint. C’est important pour nous de garder ce lien quotidien, pour que ce que nous vivons chacun de notre côté ne nous éloigne pas l’un de l’autre. Je garde ainsi un pied dans ma vie à Toulouse.

J’ai averti les autres membres de ma famille et mes amis, que j’éviterai au maximum de me servir de mon téléphone portable, étant donné que le jeune, n’a pas le droit d’en avoir un.

Aussi, je vais le faire à l’ancienne, je leur enverrai des cartes postales. Cela a été l’occasion de réaliser que ce système est beaucoup plus contraignant et coûteux. Acheter les cartes et les timbres, écrire (ce qui est dit est très succint, mais c’est l’essentiel), poster le courrier…

Peut-être que l’objet physique reçu marquera plus les esprits, qu’un SMS ou une discussion téléphonique ?

A 20h, nous partageons le repas entre pèlerins. Chacun a acheté quelque chose. Nous avons pris une pizza. Je me régale de salade et de fruits.

Je suis assise à côté de Maret, d’origine Norvégienne, vivant en France et Jolhan à côté de son mari, Jean-François, d’origine Italienne. Les discussions vont bon train.

Enfin, je monte à la chambre. Jolhan veut continuer à discuter et reste en bas. Je trouve qu’il cherche trop le contact avec les autres, il pourrait paraitre envahissant. On dirait qu’il craint de

rester seul avec lui-même, qu’il a peur de la solitude. Seul, il semble souffrir d’un manque.

Il rentre tard à la chambre. Je lui dis que nous devrons fixer des règles à ce sujet.

Jeudi 16 septembre 21 : de Sahagun à El Burgo Ranero – 18 km

Lou Anne, une monitrice-éducatrice de l’association vient partager notre marche aujourd’hui.

Nous prenons un bon petit déjeuner donativo avec tous les restes de la veille avant de partir.

Lou Anne a 23 ans, elle est mignonne et très sympa, elle fume.

Nous discutons bien, tous les trois. Je fais part de mes expériences en Amérique Latine. En sa présence, n’étant pas contredite, je peux mieux m’exprimer.

A Bercianos del Real Camino, nous faisons nos achats pour midi : une ½ boite de tomates pelées à étaler sur du pain + huile d’olive + fromage + charcuterie. Des biscuits en dessert. Nous avons trouvé table et banc à l’endroit désiré où nous discutons avec un couple de français.

Alors que Jolhan nous explique qu’il est trop pudique pour faire ses besoins dans la nature, en présence de Lou Anne, je leur fais part d’une expérience vécue : avec mon mari, nous avions décidé de passer nos vacances dans un camping naturiste.

Même si nous étions à l’aise chez nous, je ne me sentais pas capable de me mettre nue en public et j’appréhendais.

En fait, quand nous sommes entrés dans le camping et que tout le monde était nu, je me suis sentie gênée d’être habillée et me suis vite déshabillée. J’ai alors pris conscience que c’était le fait de ne pas être « comme tout le monde » qui me gênait.

Mon expérience ne fait pas écho chez Jolhan. Pour lui, c’est vraiment une question de pudeur, ce qui est bien sûr, tout à fait respectable. Cette histoire de ma vie n’avait pas pour but de le faire changer d’avis, mais éventuellement de le questionner sur le sujet.

Sur ce parcours, à l’arrivée, Jolhan n’est pas trop fatigué.

Nous nous installons au gîte communal en donativo. Lou Anne nous quitte, peut-être, reviendra-t-elle ?

Après la douche, je nettoie et dit à Jolhan de le faire aussi. Il part en me disant que personne ne le fait. Je retourne le chercher : « Même si certains ne le font pas, nous, nous le faisons. C’est d’ailleurs une des façons d’avoir plus d’estime pour soi et donc de s’aimer mieux. »

Jolhan va dormir. J’écris mes cartes postales, me promène à la découverte du village, discute avec un couple de pèlerins déjà rencontré.

Ce soir, comme nous pouvons disposer d’une vraie cuisine, nous cuisons 2 tranches de filet de porc dans du beurre, du riz accompagné de morceaux de seiche. Délicieux repas chaud.

Vendredi 17 septembre 21 : de El Burgo Ranero à Puente de Villarente – 26 km

Nous déjeunons avant de partir en mélangeant lait concentré et eau chaude + céréales.

Départ 8h -10. Nous marchons bien et plutôt silencieusement, 13 km, le long d’une petite route, avec quelques rencontres.

Un panneau explique un lieu que nous allons bientôt rencontrer : la croix de fer.

La tradition veut qu’une pierre soit transportée, dès le départ, pour être placée au pied de cette croix. Ce poids inutile, dans le sac, représente tout ce dont le pèlerin veut se libérer, de ce qui lui pèse dans sa vie.

Avant de partir sur ce chemin, il se trouve que j’ai rangé entièrement un placard dans lequel j’ai retrouvé une bourse, un bel objet en cuir qui m’avait été offert par mon fils et ma belle fille lorsque j’étais partie pour 1 800 km sur ce chemin, il y a 10 ans.

Et dans cette bourse, il y avait 2 pierres, l’une très sombre, l’autre très claire.

Encore la providence, qui me rappelle que je dois partir avec ces pierres, l’une pour le jeune que j’accompagnerai et l’autre pour moi.

J’explique tout cela à Jolhan et lui demande de choisir la sienne. Il prend la sombre, estimant que son esprit est sombre par rapport au mien.

Il dit ne pas croire au résultat de cet acte symbolique, pourtant par la suite, je trouve qu’il en parle assez souvent et qu’il semble l’attendre.

A Reliegos, nous prenons notre repas de midi à un bar. Une tartine de jambon cru et œufs pour Jolhan, une part de tortilla pour moi.

Jolhan me parle beaucoup de sa dernière copine, Lucie, pour laquelle il semble avoir encore beaucoup de sentiment. Il lui a envoyé un mail avant de partir. Lui aura-t-elle répondu ? Il le saura dans 6 mois.

Je reviens sur le sujet de la pudeur et lui dit que ce peut être un handicap dans les relations intimes, qu’il me semble important d’être à l’aise avec son corps et le corps de l’autre.

Il me répond que cela rend justement plus sacré cette découverte. Il a raison.

S’en suit naturellement une discussion au sujet des relations intimes dont « je resterai pudique sur le contenu ». Cependant Jolhan m’avoue qu’il n’avait jamais parlé de cela avec personne, ni avec ses copains ; et moi-même je n’ai jamais parlé ainsi à mes propres enfants ! Il n’est jamais trop tard !

En tout cas, Dieu merci, il n’a pas la pornographie pour modèle, nous sommes bien d’accord sur ce point.

En conclusion : tout cela est très naturel et « avoir envie est être en vie ». On devrait pouvoir en parler naturellement et avec les mots appropriés : testicules, pénis, anus…comme les mains, le nez ou les oreilles. Sinon les mots employés paraissent grossiers et ont tendance à faire penser qu’il s’agit de choses sales, alors que c’est propre, sain, beau et bon.

A Mansillas de las Mulas, où est censé être notre arrivée, les gîtes sont complets et nous marchons 7 km de plus, pour arriver à Puente de Villarente.

Dans le gite, très privé, le repas est à 12€, nous n’avons pas les moyens. Nous allons faire les courses : encore 2km de plus, Aller Retour ! C’est notre plus grosse étape. Nous sommes vannés.

Nous avons à faire chauffer de l’eau avec notre réchaud à gaz. Nous nous installons dehors, à l’abri, car il pleut.

Une pèlerine Russe, très extravertie, parlant anglais avec Jolhan est affolée. Il est interdit de nous servir d’un réchaud à gaz en Espagne, nous risquons une très forte amende (dont elle connait le montant exact !)…

L’aubergiste vient nous disputer : nous n’avons pas le droit de manger là, c’est privé. Pourtant nous ne gênons personne.

Aussi, nous remballons toutes nos affaires et allons prendre notre repas en dehors du gîte, sous la pluie.

Lorsque nous rentrons, trempés, elle nous autorise à manger à l’intérieur : trop tard !

Ce sera notre seule expérience d’accueil désagréable.

Partout ailleurs, nous nous sentons vraiment accueillis, avec beaucoup d’attention et de bienveillance. Combien de fois, Jolhan me dit : « Qu’est-ce que les gens sont gentils ! » Il n’en revient pas. Et oui, il y a aussi beaucoup d’amour sur cette terre.

Samedi 18 septembre 21 : de Puente de Villarente à Leon – 12 km

Les 7 km supplémentaires de la veille sont économisés ce jour et nous laisseront du temps

pour visiter cette grande ville. Arrivés à 10h 30.

Le gite se trouve en face du fast-food KFC. Jolhan adore leur poulet grillé. Aussi nous irons y prendre notre repas de midi.

En fin de matinée, Jolhan lave son linge et se repose. Je pars en reconnaissance en ville.

Dans l’après-midi, nous allons découvrir le centre-ville ensemble.

Il a envie de se poser à la terrasse d’un café. Nous prenons un cappuccino. Antonio, un espagnol de Madrid que nous avons rencontré plusieurs fois s’installe en face de nous et nous passons 2 bonnes heures à discuter. Je suis contente d’utiliser mon savoir en espagnol.

Jolhan est le seul de nous trois à donner de l’argent à un mendiant des pays de l’est, qui passe à notre table.

Antonio dit qu’il a eu de l’argent pour venir de son pays jusqu’en Espagne et qu’il doit trouver du travail, ce n’est pas ce qui manque, d’après lui.

Jolhan nous explique, que s’il n’y avait pas eu la barrière de la langue il aurait demandé au mendiant de lui raconter son histoire en échange. Il fait cela en France.

Je trouve que c’est généreux et courageux.

Quant à moi, j’avoue ne pas être à l’aise avec ça et nous en discutons. L’argent sera-t-il utilisé pour l’essentiel ou pour de l’alcool par exemple ? Il y a des associations pour s’occuper d’eux…

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Deux personnes que nous avons rencontrées plusieurs fois, souhaitent nous payer l’entrée pour visiter la cathédrale. Nous devons refuser sans les vexer, cependant avec fermeté. Nous faisons avec les moyens financiers accordés et ne sommes pas à plaindre.

Nous prenons un plan de la ville à l’office de tourisme et faisons le tour du centre historique.

Au retour, vers 18h, nous achetons chacun notre plat complet : salade, viande, fromage pour moi, riz saumon pour Jolhan.

Dimanche 19 septembre 21 : de Leon à Villadangos del paramo – 22 km

Température 2° affichée ce matin, à Léon !

Jolhan lit un livre qui retrace la vie seul, en survie d’un jeune : Into the wild (voyage au bout de la solitude) de Jon Krakauer.

 Il a envie de faire la même chose. Il aimerait vivre ainsi.

S’il n’arrive pas à trouver sa place dans la société, il pense que c’est une solution pour lui : chasser pour manger.

Quand je lui dis qu’il faut être sportif : non parce qu’il ne serait pas nomade. Il se préparera, apprendra à construire sa cabane…

Quand je lui objecte qu’il aime les échanges avec les autres, il envisage de vivre ainsi avec des copains.

De la même façon qu’il reconnait que les jeux vidéo sont pour lui un refuge, ces fantasmes sont peut-être une façon de rester hors des réalités de la vie ?

Il pense aussi à un jeu vidéo qu’il a laissé au moment où, à la suite d’une mise à jour, les armes sont introduites dans la ville qu’il a créé avec ses copains. Il est curieux de voir comment ça va évoluer.

Je lui réponds que l’on peut aussi s’intéresser à ce qui se passe dans la vie réelle.

En route, à Valleverde de la Virgen, nous achetons notre repas de midi : du cassoulet.

Il s’inquiète, en pensant aux mises en garde de la pèlerine Russe. Je lui réponds que cela me semble aussi peu probable que le téléphone qui tient tout seul sur le bras, suite à la vaccination. Nous parlions hier au soir de ces affabulations. Nous jugerons de notre propre expérience.

De toutes façons, l’association ne nous équiperait pas d’un réchaud s’il était interdit.

Je suis plus inquiète du vent pour la flamme. Nous trouvons un petit square pour préparer notre repas et un arbuste pour protéger la flamme du vent.

A l’entrée du village de Villadangos del Paramo, un albergue apparait, tout neuf. C’est bien le gîte communal nouvellement ouvert, donativo, que je souhaitais à la place de celui indiqué sur la feuille de route qui coutait 50€ pour nous deux.

Une bénévole Belge nous reçoit en français, très gentiment. Une autre bénévole américaine discute un bon moment avec Jolhan.

Douche, lessive, vaisselle de midi, comptes, réservation, coup de téléphone…

Jolhan dort tout l’après-midi.

Je trouve à acheter 2 sandwichs au thon sur la place du village, en ce dimanche soir. Un peu léger comme repas, avec du lait concentré.

La nuit est fraiche, je dors avec ma doudoune dans le sac de couchage.

Lundi 20 septembre 21 : de Villadangos del Paramo à Hospital de Orbigo – 11 km

Je me réveille en sursaut à 7h 20. Le déjeuner est servi entre 7h et 8h. Nous avons quand même le temps de prendre un bon petit déjeuner.

L’étape est vraiment pénible, car nous longeons une nationale à grande circulation, très bruyante et puante. Nous avons quand même le plaisir de rencontrer à nouveau Gilles, d’Annecy.

Jolhan parle beaucoup, j’écoute. Nous attendons parfois qu’un poids lourd soit passé pour nous entendre.

Nous arrivons à Hospital de Orbigo. Je reconnais cet immense pont médiéval, magnifique entrée dans cette jolie ville.

Nous attendons l’ouverture. Puis comme à l’accoutumée : douche, lessive, comptes, écritures…

Marie-Colombe passe faire le point de la semaine avec nous. Cela me permet aussi de me rendre compte de l’évolution.

Jolhan a pris conscience de ce que ce chemin représente. Il marche bien, dit moins qu’il a horreur de ça. Il est moins dans l’opposition. Il a pris conscience que les relations étaient éphémères et qu’il ne fallait pas courir après les pèlerins.

Il pense à l’avenir : vendeur de jeux vidéo ? travail auprès des animaux, que faire avec l’anglais ? les armes ?

Nous avons rendu le réchaud à gaz et la casserole. Un poids trop important au regard du service rendu.

Nous avons 42€ de boni (de dénivelé pour Jolhan) sur les comptes, grâce au gîtes moins chers que la moyenne de 12€. Aussi nous allons les dépenser petit à petit en alimentation.

Nous commençons le soir même avec une portion de spaghettis au restaurant et prenons notre dessert sur nos provisions.

Dans l’après-midi, Jolhan a rencontré Jake, un jeune américain de 23 ans, et ils ont discuté longtemps ensemble. Nous le retrouvons le soir au restaurant accompagné d’une autre américaine et de 2 allemands. Ils parlent anglais entre eux.

Jake lui ramène une glace du resto et ils discutent encore dans la soirée. Pour ma part, je n’apprécie pas ce cadeau. Nous ne sommes pas à la mendicité.

Mardi 21 septembre 21 : de Hospital de Orbigo à Astorga – 18 km

Nous partons à 7h 10. J’ai eu un peu froid, même en dormant avec ma doudoune.

En route, je m’extasie sur la pleine lune. Bien sûr, Jolhan n’est pas d’accord, ce n’est pas la pleine lune…je ne réponds pas.

Afin de ne pas soulever d’opposition, j’écoute beaucoup plus que je ne parle.

Plus loin, il retrouve Jake et discutent longtemps ensemble.

il m’explique ensuite, qu’ils ont parlé de l’argent, du pouvoir, du succès.

Il n’est pas normal qu’un patron gagne X fois plus que ses employés…

Je ramène encore cette notion de pouvoir à notre niveau individuel :

Quand il y a un trop gros écart entre celui qui parle et celui qui écoute, en temps de parole, c’est une façon de prendre le pouvoir

Quand l’autre parle et qu’il lui renvoie systématiquement : « Non, c’est pas ça…c’est une manière de vouloir prendre le pouvoir ».

Tous les travers de la société se retrouvent au niveau individuel, alors en commençant par nous changer nous-même, nous pourrons changer la société.

Nous nous arrêtons longtemps sur une aire donativo : « La maison des Dieux ».

David reçoit les pèlerins avec tout ce qu’il faut pour les nourrir : café, thé, chocolat au lait, fruits secs et frais de toutes sortes, biscuits …c’est impressionnant.

Aussi c’est un lieu de rassemblement pour les pèlerins.

Jolhan est impressionné et enchanté de la gentillesse des gens.

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Nous arrivons à Astorga vers 12h 30. Nous traversons cette belle petite ville en hauteur, pour faire nos courses et nous installons dans un parc, terrasse sur les environs, avec une très belle vue, pour prendre notre repas.

Jolhan « me prend de haut » avec des réflexions dévalorisantes. Je lui fais remarquer qu’il prend parfois ce ton un peu méprisant envers moi et que, dans ce cas, je ne me sens pas respectée. Il s’excuse. J’accepte ses excuses.

Jolhan a des avis sur tous les sujets, des avis très tranchés et bien-sûr, à l’opposé des miens. Parmi ses avis il y a beaucoup de préjugés, de généralisations du type : « Tous les Parisiens sont ainsi… »

Je lui fais remarquer qu’à mon avis, ce genre de jugement est à la base du racisme et lui suggère d’être plus nuancé, car c’est très injuste pour tous ceux qui ne sont pas concernés. Par exemple : « Je pense (et ça n’engage que moi) que la majorité des Parisiens…

Le vécu, l’expérience qui viendraient appuyer ses convictions, manquent. Ce qui est bien normal à cet âge : un péché de jeunesse.

Il connait une personne qui roule à grande vitesse devant les radars : « Lui, il s’en fout de l’amende », Jolhan admire cette manière de braver les interdits.

Cette personne n’a pas compris que ces règles servent à notre sécurité ?

Nous attendons jusqu’à 17h, l’arrivé de Yannick, le directeur de l’association Barayole, de sa femme Stéphanie, responsable de l’éducatif et d’un nouveau chef de service.

Ils ont pris du retard sur les petites routes.

A leur arrivée, nous allons nous poser sur les bancs du parc. Ils nous offrent des pâtes de fruits délicieuses.

Yannick s’entretient avec moi, pendant que Stéphanie et le chef de service font le point avec Jolhan.

Mon compte rendu est globalement positif :

J’ai tout de suite pensé que Jolhan est un Haut Potentiel Intellectuel. Plusieurs personnes sur notre chemin l’ont pensé aussi.

J’en ai fait part à la coordination : « Si vous aviez un cadeau à faire à Jolhan, des tests QI pourraient apporter un éclairage sur ses difficultés à trouver sa place. De plus les résultats pourraient lui apporter confiance en lui ».

Yannick me répond qu’ils verront cela avec la psychologue.

Jolhan est facile à vivre au quotidien.

  • Je le réveille : il se lève, se prépare…
  • Nous faisons les courses ensemble : nous regardons les prix, trouvons des aliments à partager ou chacun de notre côté suivant nos goûts…
  • Nous avons sensiblement le même rythme de marche
  • Il est très ouvert aux autres
  • Il est ouvert à la nature et en particulier aux animaux

Par contre, la communication est difficile par la fréquence d’une forme de complexe de supériorité qui se traduit par : « J’ai raison, tu as tort et je t’explique …. ».

Il pense aux domaines dans lesquels il aimerait exercer un métier : les jeux vidéo, les armes, l’anglais, s’occuper des animaux.

Il a envie d’être indépendant dans sa vie.

Suis-je déçue ? me demande-t-il : « Non, pas du tout»

Il me remercie pour cet accompagnement.

Ce remerciement va dans les 2 sens, car depuis 2 ans ½ j’en avais envie et il me permet de le réaliser.

Le soir, nous mangeons chaud sur la terrasse du gite, grâce à une bouilloire.

Mercredi 22 septembre 21 : de Astorga à Rabanal del Camino – 20 km

Départ vers 7h. Nous prenons un cappuccino et un chocolat au lait dans un bar qui ouvre.

  • Je sens que Jolhan fait attention à ses paroles.
  • Moi aussi, je veille à être toujours bienveillante.

Nous rencontrons un québécois dont le métier est de transporter des jeunes en difficulté. Nous discutons un moment.

Nous parlons de la différence entre humour et ironie. Les deux font rire, l’humour par le caractère comique ou insolite mais l’ironie est avant tout une manière de se moquer et de dévaloriser l’autre.

Vers midi, nous nous asseyons dans la nature pour savourer notre salade composée.

La fin du parcours annoncé à 2 km, nous en paraît au moins 4 !

Nous arrivons sous la pluie, et nous sommes très bien accueillis par Marina au gite communal.

Dans nos discussions avec l’aubergiste, Jolhan déclare qu’il veut apprendre l’espagnol : « Muy bien, animo ! »

Il discute longtemps en anglais avec elle, pendant que je me promène dans le village, je téléphone…pour m’occuper, je commence le livre de Jolhan.

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Entre 18h 30 et 19h 30, nous avons droit à un cours de danse, de la zumba, sur la place du village, animé par un jeune black très dynamique. Nous reproduisons ses gestes, c’est de la coordination de mouvements sur musique.

Nous sommes une dizaine, autant de garçons que de filles. Je suis en forme, ma hanche ne se fait pas sentir.

Malgré les sollicitations de Marina, Jolhan ne s’essaiera pas à la danse, pendant ce temps il préfère discuter avec les uns et les autres.

Pour le repas du soir, elle nous recommande l’albergue voisin qui sert des plats bon marché. Nous choisissons tous les 2 du riz aux légumes. C’est copieux et suffisant. Au retour, nous mangeons un yaourt en dessert.

Demain, nous passerons devant la Croix de Fer. Je donne à Jolhan la pierre sombre et lui propose de la charger de tout ce qu’il ne veut plus dans sa vie. Je fais de même de mon côté avec la pierre claire.

Nous sommes très nombreux dans le dortoir, avec un poêle qui réchauffe cette grande pièce. En effet, nous sommes à 1150 m d’altitude et le temps est pluvieux.

Jeudi 23 septembre 21 : de Rabanal del camino à Acebo de San Miguel

Plusieurs fois j’ai conseillé à Jolhan de préparer son sac à dos la veille. Car par deux fois il a oublié l’eau. Lorsqu’il s’en aperçoit en cours de route : « C’est pas grave » dit-il.

« Si, c’est grave d’oublier l’eau ! »

Ce matin, chercher dans le noir, pour ne pas réveiller les autres, l’enveloppe de sa cape de pluie n’était pas facile.

Il faut anticiper, et pas seulement sur les chemins de Compostelle !

Nous prenons le petit déjeuner : yaourt et biscuits sur une aire aménagée à l’entrée de Foncebadon.

Puis, dans le village, nous nous asseyons à un bar pour le café de Jolhan et mon chocolat au lait. Jolhan adore ces moments, son visage s’éclaire, sa voix aussi. Il rayonne. Il retrouve ses habitudes, il est en terrain connu. Pour l’instant, nous avons les moyens financiers de le faire.

Pour la première fois, il sort son appareil photo jetable 34 pauses, offert au départ par l’association et prend quelques photos de paysages. Il trouve cet appareil très désuet.

Il en est de même pour moi concernant le téléphone portable prêté par l’association, ou il faut appuyer un certain nombre de fois pour obtenir les lettres nécessaires aux messages à envoyer. Je renonce et me sers du mien avec lequel je parle directement.

Comme pour les cartes postales, nous avons du mal à revenir en arrière.

Par contre, lorsque nous arrivons à notre étape, je demande le lieu du gîte aux habitants sur notre passage. Jolhan ne comprend pas que je ne me serve pas de mon portable pour nous guider. Je lui fais remarquer que les gens sont contents de nous voir sur ce chemin et de nous rendre service et c’est l’occasion d’échanger avec eux.

Il trouve mon guide Michelin dépassé, pourtant il le consulte souvent.

Nous arrivons à Cruz de Ferro (1504 m), cette fameuse Croix de Fer, ce calvaire monumental, lieu mythique sur le chemin.

Nous nous arrêtons là un bon moment. Jolhan va déposer sa pierre.

Je vais déposer la mienne.

J’offre à Jolhan, la bourse en cuir qui a transporté nos 2 pierres jusque-là.

Et comme il aime à connaitre l’histoire des objets, je lui explique qu’elle m’avait été offerte il y a 10 ans, par mon fils et ma belle-fille lorsque j’étais partie seule pour 1 800 km sur ce chemin.

En parlant d’objets qui lui plaisent, il me dit beaucoup aimer les briquets à essence.

Nous continuons notre chemin en forte descente, ce qui devient très pénible à Jolhan. Il chausse du 42 et ses chaussures sont du 42, aussi ses pieds butent à la descente. Il aurait été sans doute plus confortable qu’elles aient une pointure de plus.

Nous nous arrêtons plusieurs fois, avant d’arriver enfin à Acebo.

Nous nous attablons au 1er bar venu et nous commandons de délicieux sandwichs, tout en échangeant avec 4 français.

Plus tard, au gîte, pendant que Jolhan dort, je me promène dans ce typique village de montagne d’où nous avons de très belles vues sur les montagnes, la ville de Ponferrada, au loin où nous irons demain, à 16 km. Je mange des framboises, et des mûres.

En tournant et retournant notre linge pour qu’il sèche dans l’après-midi, je m’aperçois que les chaussettes de Jolhan sentent mauvais. Il a seulement rincé ses vêtements sans utiliser de savon. Je lui en parle. Il aurait sans doute eu besoin d’une petite formation à ce sujet. Avant ce chemin, il n’avait sans doute jamais lavé son linge à la main et de plus, cette tâche n’a pas l’air « d’être sa tasse de thé ».

Le soir, nous prenons pour la 1ère fois un menu complet au restaurant du gîte à 12€ chacun et nous apprécions beaucoup.

A une table voisine, une femme chante pour l’anniversaire de son conjoint. Nous profitons de ce petit concert improvisé.

Jolhan parle beaucoup, entre autres d’un ami de sa sœur, de 2 ans de plus que lui, qui voulait lui apprendre la vie ! Il me semble que c’est ce qu’il fait parfois avec moi !

Vendredi 24 septembre 21 : de Acebo à Ponferrada – 16 km

Départ vers 7h ½, nous avons du mal à trouver la porte de sortie du gîte !

4 km plus loin, à Riego de Ambros, dans un bar-restaurant, en guise de petit déjeuner, nous prenons café et chocolat au lait et terminons nos biscuits.

Nous y retrouvons les 4 français aperçus au bar, la veille.

A Molinaseca, Jolhan va boire un café, sur son argent de poche, au bar, pour pouvoir aller aux toilettes. Je l’attends dehors.

Il pleut parfois, nous nous servons de nos capes de pluie. Nous marchons vite.

Peu avant l’arrivée à Ponferrada, suite à une discussion au sujet du jeûne, ou bien sûr Jolhan a un avis bien arrêté et bien jugeant, je lui dis que je suis étonnée qu’il manque de confiance en lui, et qu’il ne s’aime pas, parce qu’il semble plutôt avoir un complexe de supériorité.

Dès que je dis quelque chose : « Non, ce n’est pas ça ! » et il m’explique la vie, comme cet ami de sa sœur dont il me parlait hier soir. Je n’apprécie pas plus que lui et le lui dit haut et fort.

  • « Je vais finir par ne plus rien dire » me dit-il.
  • « C’est ce que je fais de mon côté pour éviter d’être contredite ! »

Et je lui répète que je ne trouve pas saine sa façon de communiquer  dans le : « Tu as tort, j’ai raison ».

A l’arrivée, ce n’est pas encore ouvert. Nous pouvons laisser nos sacs et aller faire les courses dans un supermarché.

Au retour, je nous inscris pendant que Jolhan commence à manger, affamé. Il a pris de l’appétit par rapport au début du chemin !

Dans l’après-midi, pendant qu’il dort, je découvre le centre historique de la ville.

A l’étage du gîte, nous allons écouter la répétition d’une chorale d’une quinzaine de femmes accompagnées de trois guitares. Ce sont des chants religieux très entraînants. Entre chaque chant, elles bavardent beaucoup, on se croirait dans un poulailler, c’est amusant.

Pendant notre repas du soir Jolhan discute en anglais avec une asiatique qui effectue ses réservations de logement. Elle en a marre de la promiscuité des dortoirs. Le seul avantage est que ce n’est pas cher.

Jolhan me dit que, pour lui aussi, la promiscuité lui pèse.

En ce qui me concerne, je trouve que chacun fait attention à ne pas déranger les autres, à être discret et respectueux. Cela crée un climat de confiance et de complicité entre nous. Et puis, c’est pour le temps du pèlerinage. Être privé de notre confort habituel nous permet justement d’en prendre conscience et de l’apprécier pleinement, de retour chez soi.

Samedi 25 septembre 21 : de Ponferrada à Villafranca del Bierzo – 24 km

C’est une grosse étape aujourd’hui. Levé 6h ½, départ 7h. Jolhan regimbe à se lever. Il a pris ses habitudes à 7h et c’est trop tôt. Ok, à l’avenir nous resterons sur 7h.

Après 5 km, nous prenons un café et chocolat au lait d’un camion aménagé et complétons notre petit déjeuner avec nos réserves.

Il pleut par intermittence et nous mettons et enlevons régulièrement nos capes de pluie en nous aidant mutuellement.

L’ambiance est bonne entre nous.

A Cacabelos, Jolhan rit beaucoup du nom de ce village, « les cacabouillas » ne sont pas très loin !

Nous y achetons du jambon pour compléter nos sandwichs. Plus loin, un abribus providentiel nous permet de manger tranquillement au sec.

Comme d’habitude, la fin de l’étape nous paraît très longue.

Enfin nous nous installons dans les vastes bâtiments religieux de l’Albergue San Nicolas.

Pendant que Jolhan dors, je vais visiter la ville. Je demande à une personne où je peux trouver à acheter un stylo : elle m’en donne un.

La ville comporte de nombreux édifices religieux.

Le soir, pour la 2ème fois, nous prenons notre repas au restaurant, copieux et très bon pour 11€ par personne. Très bruyant aussi, car un groupe suit un match de foot à la télé.

Dimanche 26 septembre 21 : de Villafranca del Bierzo à Vega de Valcarce – 18 km

Jolhan se rend compte qu’il n’a plus son portefeuille et les dix euros qu’il contenait. Il en est très affecté, car il ne perd jamais rien. Nous retournons vers le restaurant, au cas où… En vain.

A Trabadelo, nous prenons notre café et chocolat au lait et nos yaourts. Nous jetons les biscuits au goût douteux que nous avons achetés, pas chers mais périmés. La prochaine fois nous ferons attention.

Une nouvelle discussion/opposition s’engage entre nous lorsque je lui dis que je suis contre le prosélytisme. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il connaisse le sens de ce mot.

Bref, je lui redis qu’il se comporte comme un enfant de 2 ans ½, ou en début d’adolescence, en constante opposition. Sauf que dans 2 mois, il est majeur, adulte, responsable et qu’il serait temps de changer de registre !

  • Durant le repas qui suit cette discussion, Jolhan renverse l’huile de sa boite sur son pantalon.
  • Je téléphone à la coordination et demande une co-marche qui pourrait servir de médiateur, de tiers séparateur, momentanément.

A Vega de Valcarce, nous achetons notre repas de midi dans une boulangerie et nous faisons étape à l’albergue El paso. Ils ont vu passer le binôme précédent, il y a 2 jours. Jolhan ne comprend pas pourquoi nous ne devons pas rencontrer nos homologues. Je lui explique que leurs problématiques sont très différentes et que ce n’est pas souhaitable.

  • Justement ils pourraient s’aider entre eux, pense-t-il.

Nous faisons notre lessive. Puis je m’occupe de toutes mes petites obligations, vais visiter l’église.

Jolhan joue à « puissance 4 » avec l’aubergiste. Un groupe chante, il y a de l’ambiance. On lui offre une part de gâteau…

Nous mangeons nos empanadas + une part de gâteau et causons très bien ensemble. Il faut croire que discuter fort, de temps en temps, nous fait du bien.

Je dédramatise : il est tout à fait normal qu’il y ait des tensions entre nous : nous ne nous sommes pas choisis, nous vivons tout le temps ensemble, dans l’effort, la promiscuité et pour couronner le tout, nous avons 51 ans d’écart !!!

Même de bons amis au départ ne seront pas sûr d’être toujours amis à l’arrivée.

Lundi 27 septembre 21 :  de Véga de Valcarce à Linares – 15 km

Il est 7h, nous prenons un café et un chocolat au distributeur automatique du gite avec quelques viennoiseries offertes.

Peu après notre départ, nous rencontrons Christiane, de Thonon-les-Bains, qui lorsqu’elle connait notre situation d’accompagnant et d’accompagné, nous dit qu’elle a rencontré Anne Françoise. Le monde de Compostelle est petit. Et radio-Compostelle fonctionne bien !

C’est vrai que tous les gens que nous rencontrons, nous prennent pour la mère et le fils. Ce serait d’ailleurs plus la grand-mère et le petit-fils. Alors nous leur expliquons. Jolhan n’a pas de résistance à ce sujet.

Naturellement, il lui est demandé s’il apprécie ces chemins : et  la  réponse est : « NON, je n’aime pas marcher ! » Par contre, il apprécie les rencontres.

Il explique que lorsque l’assistance sociale lui a fait cette proposition, elle a surtout fait référence aux 5 mois en Andalousie pour apprendre l’autonomie, réfléchir à son avenir, construire un projet.

Ce n’est que plus tard qu’il a appris qu’il devait marcher 500 km. Il a accepté, mais c’est la suite qui l’intéresse le plus.

Je lui dis que dans quelques années, c’est peut-être cette marche qui restera dans sa tête le plus marquant et le plus intéressant. Si c’est le cas, qu’il ait une pensée pour moi !

Mais bien sûr, il n’y croit nullement.

Puis nous rencontrons nos 4 français, dont Gérard que Jolhan apprécie particulièrement pour son sens de l’humour et sa bonne humeur. Nous nous quittons lorsqu’ils prennent un café dans le bar d’un village. Nous ne pouvons pas nous permettre financièrement, et c’est tant mieux.

Enfin, nous arrivons à O Cebreiro, à 1 330 m d’altitude. Nous avons eu une sacrée montée et avons marché sous une petite pluie fine tout le matin.

Aussi, nous sommes heureux de nous installer dans un bar-restaurant et de nous commander des sandwichs. Nous faisons connaissance d’une française, Claudie, assise à la table à côté, elle vient s’installer avec nous. Décidément, c’est la journée des français !

  • Je les laisse tous les deux pour aller me recueillir à l’église. C’est le jour des obsèques de la maman de ma belle-sœur, la grand-mère de mes nièces et une personne que je connaissais et appréciais bien. Je me joins à eux tous par la pensée.

Puis nous marchons les 3 km restants ensemble pour arriver à Linares, et ils discutent tout le long.

L’aubergiste, auquel je demande une facture, exige le N° de l’association, sinon elle ne serait pas en règle avec l’administration fiscale.

  • Ne l’ayant pas, je finis par sortir le bloc-notes prévu par l’association pour noter la dépense. Visiblement, elle ne veut pas avoir à la déclarer.

A 18h, je vais chercher Jolhan au lit pour aller faire les courses.

  • Nous faisons cuire des pâtes du gite avec un bouillon de légume et des yaourts pour dessert. Un français, Jean-Louis, mange à notre table et partage avec nous ses tranches de saucisson.

Nous sommes au lit généralement entre 20 et 21h. Pour Jolhan, c’est une véritable cure de sommeil. Je sais que les adolescents ont parfois beaucoup besoin de sommeil, cependant je me demande si ce n’est pas son côté dépressif qui s’exprime là ?

Quoi qu’il en soit, le sommeil est réparateur.

Mardi 28 septembre 21 : de Linares à Triscatela – 18 km

Nous apprécions particulièrement cette étape très agréable, en montagne, dans la verdure.

Jolhan aime les armes et les vêtements militaires. Mon ex-mari avait aussi ces goûts, je suis assez à l’aise pour en parler. J’ai pratiqué le tir, j’ai flâné dans les magasins de surplus militaire, stock américain…

A Léon nous avons repéré une armurerie.

Et t’engager dans l’armée, est-ce que ça te plairait ?

Non, la finalité est de tuer et il ne veut pas.

Je lui propose d’adopter la discipline des militaires.

De suite, il s’insurge.

Je précise : une discipline interne, personnelle : faire les choses, même si elles ne sont pas agréables : se laver, laver son linge, débarrasser la table, faire la vaisselle, anticiper le repas, les courses…

Il invoque sa dépression (se cache-t-il derrière elle ?)

Ça peut passer, surtout au grand air, au soleil, en contact avec la nature, les animaux, plutôt que dans le noir devant un écran. Moi aussi dans ces conditions, je serais dépressive !

Il dit que sa dépression a commencée avant les jeux vidéo et qu’ils sont un refuge pour lui

Je pense et lui exprime qu’il est dans un virage très important de sa vie, plus qu’il ne l’imagine.

C’est peut-être un voyage initiatique qu’il accompli là. De plus, il va avoir 18 ans dans ces 6 mois de rupture :

Soit il dit OUI à la vie et arrête les « ça ne m’intéresse pas »,

Soit il reste dans les mêmes schémas, pris en charge par la société, par ses parents, comme il le reproche lui-même à sa mère.

« Aide-toi et le ciel t’aidera ».

Il ne voit pas ce que le ciel, Dieu a à voir là-dedans.

Si tu es motivé, passionné, tu trouveras plein de gens autour de toi qui t’apporteront les infos dont tu as besoin, qui auront envie de t’aider…

Il me parle de son envie de jeux vidéo, qu’il reprendra dès son retour. Je suppose qu’il y a de la provocation, qu’il attend peut-être que je lui fasse la morale. Aussi je me contente d’écouter.

Nous prenons notre repas de midi devant un magnifique grenier Galicien, lorsque Jolhan me dit : « Quelqu’un ronfle à l’intérieur !!! »

En effet, de forts ronflements, juste à côté de nous !

Nous sommes installés sur les escaliers, s’il sortait, il mettrait les pieds sur notre casse-croute ! mais il continue de dormir durant tout notre repas.

Je complète mon dessert par de grosses figues de l’arbre voisin.

Dans l’après-midi au gite, la coordinatrice Marie-Colombe vient nous faire sa visite hebdomadaire. Je lui explique les tensions, bien normales quand on est 24h/24 ensemble, dans l’effort et la promiscuité et avec 51 ans d’écart d’âge : « Beaucoup de bons amis ne s’en sortiraient pas aussi bien que nous ! »

Elle constate que je ne me laisse pas « monter sur les pieds ».

Non, j’en ai besoin pour marcher !

Ce soir au repas : des œufs à l’oignon, pâtes et fromage, des restes du gîte.

Mercredi 29 septembre 21 : de Tricastela à Sarria – 17 km

Nous prenons notre petit-déjeuner avant de partir avec ce que nous avons acheté.

Aujourd’hui Lou Anne vient marcher avec nous. Cela nous change un peu les idées à tous les deux.

  • Je dis : « Il pleut »
  • Jolhan n’est pas d’accord : « Ce sont des gouttes qui tombent des nuages ».
  • « Ça s’appelle la pluie » dis-je !

Nous rencontrons un donativo, tenu par des babas-cool. Sont à notre disposition plein de boissons, fruits, biscuits pour le prix que nous estimons avoir dépensé. Les pèlerins s’arrêtent nombreux et c’est un moment d’échange très agréable. Jolhan et Lou Anne choisissent un bâton parmi toute une réserve et repartent très satisfaits.

La veille Lou Anne a marché 30 km. Aujourd’hui, elle fatigue. Nous prenons notre repas sur des bancs, face à un gîte fermé.

Nous voyons souvent le mot Ultreïa et je leur explique et leur chante la chanson des pèlerins dont voici le texte. Lou Anne est très intéressée.

« Tous les matins nous prenons le chemin,

Tous les matins nous allons plus loin.

Jour après jour, la route nous appelle,

c’est la voix de Compostelle »

REFRAIN :

Ultreïa ! Ultreïa ! E sus eia

(Va plus loin, va plus haut)

Deus adjuva nos !  Dieu aide-nous

« Chemin de terre et chemin de foi,

Voix millénaire de l’Europe,

La voie lactée de Charlemagne

C’est le chemin de tous les Jacquets »

REFRAIN

« Et tout là-bas au bout du continent,

Messire Jacques nous attend,

Depuis toujours son sourire fixe,

Le soleil qui meurt au Finistère »

REFRAIN

Nous arrivons vers 14h. Lou Anne nous quitte, elle prend un taxi pour aller récupérer sa voiture. Elle revient vers nous pour laisser un livre à Jolhan et prendre des vêtements dont il n’a pas besoin.

  • Au repas du soir, je ne trouve plus mon petit couteau-ciseaux, le plus petit des Victorinox.

Aussi, je vais m’acheter un autre couteau. A cette occasion, je trouve aussi un briquet à essence, comme Jolhan en rêve avec le motif de St Jacques dessus. Je l’achète et le lui offrirai à l’arrivée.

Dans ce gîte, nous rencontrons André, boulanger à la retraite et sa femme. André est très énergique et il parle à Jolhan des possibilités de métiers manuels dont on a besoin actuellement.

Jeudi 30 septembre 21 : de Sarria à Portomarin – 21,5 km

Départ à 8h après le petit déjeuner.

Nous rencontrons 3 français. L’un discute avec Jolhan, un autre avec moi.

La distance entre Jolhan devant et moi derrière, est trop importante. Pris par la discussion, il ne s’en rend pas compte. Je le rappelle à l’ordre ou plutôt à la règle. Nous ne devons pas nous perdre de vue.

Je rencontre Jean-Pierre qui habite ma région. Nous avons été dans le même lycée à St Marcellin. Il a 2 ans de moins que moi. Nous nous arrêtons tous les 5 pour prendre un café puis les perdons de vue.

Un donativo très fourni se présente à nous à l’heure du repas de midi avec même des plats cuisinés. Nous en profitons pour prendre une bonne pause repas. Il y a de l’ambiance. Un italien sort son ukulele et fait chanter l’assemblée.

Nous rencontrons là, à nouveau, André et sa femme et le boulanger donne à nouveau des conseils à Jolhan.

Puis nous continuons notre route.

Nous passons en dessous de la barre des 100 km avant d’arriver à Santiago.

Le nombre de pèlerins augmente.

En effet, la Compostella est délivrée aux pèlerins ayant accompli au minimum 100 km et c’est un atout sur un CV.

Nous, nous commençons à compter les jours restants avant l’arrivée.

Au gîte, nous retrouvons Jean-Louis qui nous avait offert du saucisson. Il nous parle longuement d’économie et des gouvernements qui ne veulent pas régler les problèmes. Il est particulièrement pessimiste quant à l’avenir de notre société.

Nous mangeons le soir, ce qui était prévu pour midi.

Vendredi 1 octobre 21 : de Portomarin à Palas de Rei – 25 km

Petit déjeuner en cuisine, avec chocolat au lait, pain grillé (sans rien dessus) et biscuits.

Nous marchons avec Jean-Louis, d’un bon pas, puis tous les deux.

Nous nous arrêtons par 2 fois pour nous reposer et prendre un petit en-cas : banane, biscuits, raisins secs.

  • Je profite de toutes les pauses pour étirer mes muscles car une petite douleur se fait sentir à la hanche.
  • Nous parlons peu. Nous avons bien le même rythme.

A Airexe, où une alimentation était indiquée sur notre guide Michelin, il n’y a pas de commerce. C’est dans un bar quelques kilomètres plus loin que nous commandons une tortilla de bonne envergure pour moi. Par contre la tourte de Jolhan est chiche. Aussi, nous partageons.

Le trajet est très agréable, dans un paysage de campagne, d’élevage.

À plusieurs reprises nous rencontrons André le boulanger et sa femme. En plaisantant, il dit à Jolhan qu’il est au goulag, il le chambre : « Marcher, marcher, pas de portable, pas d’alcool… »

Nous retrouvons aussi Claudie rencontré à O Cebreiro.

Enfin, fourbus, nous arrivons à Palas de Rei. Nous n’aurons plus d’aussi longues étapes car la suivante, de 29,5 km a été coupée en deux pour éviter une rencontre avec un autre binôme. Ouf !

Il se met à pleuvoir après notre arrivée.

Jolhan dort et lit tout l’après-midi. Pendant ce temps je fais mes affaires :  douche, comptes, balade dans la ville, coups de téléphone…

Vers 18h30, je sollicite Jolhan pour aller faire les courses. Le fait de sentir l’arrivée me fait aussi languir les bons plats cuisinés à la maison.

Pendant le repas froid du soir, il n’y a pas de cuisine, Jolhan me fait une remarque désobligeante quant à ma façon d’ouvrir un emballage.

Il remarque mon agacement. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase à toutes ses oppositions systématiques.

« Oui, je suis agacée.

    • Physiquement chez toi, tout va bien, tu marches bien, tes muscles se sont faits, et tu dis avoir d’excellentes défenses immunitaires, tu n’es jamais malade.

    • Tu es sans doute un haut potentiel intellectuel, je te précise que ce n’est pas une raison pour mépriser les autres.

    • Tes parents se sont bien occupés de toi

    • Ils t’ont inculqué de belles valeurs de justice, d’équité…

Alors « cherchez l’erreur » ? Que fais-tu, pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance ? Plus généralement réservée à des enfants abandonnés ou qui sont en danger dans leur famille ou qui vivent dans la rue ?

« J’aurai préféré vivre dans la rue » me répond-il !!!

Heureusement que ses parents ne sont pas là pour l’entendre !!!

« Tu reproches à ta mère de ne pas travailler. Elle a un handicap au dos, mais d’après toi, elle pourrait quand même travailler et ne pas vivre au crochet de la société et de ton père ». J’enchaine.

« Et toi ? Tu as tout ce qu’il faut, mais me semble-t-il, c’est ton caractère rebelle, en opposition constante qui est ton handicap, qui fait que tu te retrouves aujourd’hui pris en charge par la société.

Il reconnait qu’il entend ce discours de la part de ses parents et de certains de ses enseignants.

« Comme c’est étonnant ! quel hasard ! »

Je lui dis que ce sera un gros problème s’il se comporte ainsi avec ses employeurs.

« Je saurai respecter la hiérarchie », répond-il. Cependant, il n’a pas ressenti la hiérarchie avec ses parents, ses professeurs, ni avec moi, qui suis ici sa responsable.

Au sujet de la dépendance ou non dépendance aux jeux vidéo, je m’interroge :

Soit, il n’est effectivement pas dépendant et cherche seulement des relations. D’ailleurs, actuellement privé, il n’a pas d’angoisse particulière. Il a sur ce chemin, de nombreux échanges avec les autres.

Soit, il est dépendant. D’ailleurs il a employé le mot « obsession » à ce sujet.

Comme pour les alcooliques, le plus difficile est de prendre conscience de sa dépendance. Sorti du déni, ils acceptent facilement les soins : médecin, psychologue, cure, alcooliques anonymes…

A son sujet je ne sais pas et ce n’est pas mon rôle.

Quant à ton potentiel intellectuel, s’il n’est pas assorti d’efficacité dans ta vie, cela ne sert à rien.

« Tu as une Porsche mais c’est comme si tu avais oublié de mettre du carburant et les 2CV te passent devant ! »

Après cette mise au point, je passe une très bonne nuit. Nous sommes 4 dans le dortoir, avec 2 Coréens.

Samedi 2 octobre 21 : de Palas de Rei à Melide – 14 km

N’ayant pas la possibilité de s’attabler à l’intérieur de l’albergue, nous déjeunons dehors. Nous balayons de nos mains, la table et les chaises, de la pluie de la nuit.

En chemin, nous avons un peu de pluie. Nous rencontrons Jean-Louis, l’économiste puis Claudie, qui va servir de médiateur entre nous !

En effet, Jolhan lui explique qu’il n’arrive absolument pas à me comprendre. Comme sa mère et sa belle-mère. (Le petit macho de base qui pointe son nez ?) Pour lui, nous sommes des énigmes, il ne sait même pas dans quelle case nous mettre ! Nous ne sommes pas du tout dans les mêmes logiques.

Et ce n’est vraiment pas un compliment ! 

Quant à moi, je ne suis pas fâchée d’être « hors case » !

Nous prenons un café et un chocolat en cours de route.

A l’albergue de Melide, il y a une cuisine et suffisamment de restes pour nous préparer un repas.

Je fais la connaissance de Gérard, proviseur à la retraite qui aimerait aussi effectuer un accompagnement. Nous en discutons un bon moment. Je lui donne les coordonnées de l’association. Il marche avec Francis, qui, ayant un problème au pied, tire son sac à dos sur une carriole.

Dimanche 3 octobre 21 : de Melide à Arzua – 14 km

Nous déjeunons avant de partir, à 8h.

En route, nous rencontrons Gérard et Francis et passons sur le reste de la matinée à marcher avec eux.

Le petit matin est toujours très agréable et nous avons la chance de ne pas avoir de pluie.

Nous arrivons vers 11h 30.

Pendant la grande sieste de Jolhan, en ce dimanche, je pars à la recherche d’une épicerie, pour compléter les repas du soir, du petit déjeuner et du lendemain midi, car il n’y aura pas d’alimentation en route, demain.

Nous comptons les jours : plus que 2 jours de 20 km, mais de la pluie prévue.

Depuis 8 jours, depuis Vega de Valcarce, Jolhan n’a pas lavé de linge, malgré mes recommandations. Je me demande si je dois lui en parler.

C’est lui qui m’en parle. Il voulait changer de veste, mais elle pue, me dit-il. Et oui, à la dernière lessive, il a rangé son linge encore humide et il a moisi.

Il n’envisage pas pour autant de laver du linge avant l’Andalousie !

Pendant le repas du soir, nous échangeons, tant bien que mal, avec un Mexicain très sympathique. Il nous fait partager son sandwich. Il voudrait nous inviter demain au restaurant. Je lui explique que c’est interdit pour nous, nous devons faire avec notre budget, sans accepter de cadeaux.

  • « Que c’est triste », s’exclame-t-il !
  • « Non, c’est éducatif ».

Lundi 4 octobre 21 : de Arzua à O Pedrouzo – 20 km

Départ à 8h. Rapidement, nous rencontrons un jeune Chinois de 23 ans, très jovial, vivant à Madrid. Il discute avec Jolhan, prend des photos de toutes les bornes kilométriques. Quand il s’arrête dans un bar, nous continuons le chemin avec 2 Coréennes, très sympathiques elles aussi. Je laisse Jolhan débattre avec elles.

Nous prenons notre repas sur une aire aménagée. Nous rencontrons des groupes scolaires d’adolescents qui semblent marcher pour la journée étant donné leur mini sac à dos.

A un bar où nous prenons un café, nous faisons la connaissance de Dimitri, un jeune Réunionnais vivant à Berlin. Son tatouage : un couteau à cran d’arrêt, sur son bras, plait beaucoup à Jolhan.

Nous arrivons à 13h 30 à O Pedrouzo

S’en suit, comme chaque jour : douche, lessive éventuelle, compte, écriture, organisation, promenade dans le village, courses.

Jolhan me dit qu’il a fait des rêves érotiques.

Super ! ta libido se réveille au contact de la vraie vie, du corps en mouvement, de la nature, des éléments naturels : le soleil, la pluie, le contact avec les gens…

Mardi 5 octobre 21 : de O Pedrouzo à St Jacques de Compostelle – 20 km

J’ai très peu dormi, je suis excitée par l’arrivée, l’organisation de la fin, le retour…

Nous avons reçu la consigne de partir à 7h ½ , j’ai peur de ne pas me réveiller.

Nous déjeunons et partons un peu avant l’heure prévue. Il ne pleut pas ou très peu.

Nous rencontrons Dimitri et nous arrêtons pour boire un café et du jus de fruit pour moi. Il a eu un problème d’alcool et de drogue. Il a fait les bons choix pour s’en sortir. Il aura 30 ans demain.

En effet, à chaque instant, nous avons le choix de nos pensées, de nos paroles et de nos actions. Nous en avons l’entière responsabilité.

Jolhan raconte son histoire. Il se présente comme quelqu’un ayant des problèmes psychologiques, Je suis surprise qu’il insiste autant sur cette représentation de lui-même, car je ne le perçois pas ainsi. J’ai encore l’impression qu’il s’en fait une « identité remarquable ».

Notre gîte se trouve sur le chemin. Après installation, courses, repas, douche, nous partons à la cathédrale.

En route, Jolhan a des paroles dévalorisantes à mon encontre et je le lui fais remarquer.

Je lui dis que j’ai l’habitude d’être appréciée par mon entourage et très estimée. Ça me fait bizarre et triste d’être traitée ainsi. Pour la 1ère fois, je suis touchée. J’espère  « Que tu ne feras pas de même avec tes compagnes », lui dis-je.

Etant donné notre différence d’âge, il me semble que les remarques seraient plus « normales » dans l’autre sens : du plus âgé au plus jeune, de celui qui a le plus d’expérience de la vie à celui qui en a le moins !

C’est la 4ème fois que j’entre à St Jacques de Compostelle, dont 3 fois à pied. C’est la 1ère fois sans mon compagnon.

Je ressens de la tristesse. Nous arrivons au but et j’ai l’impression d’avoir échoué avec Jolhan, d’un point de vue relationnel.

A part les rencontres avec les autres pèlerins, j’ai le sentiment que ce mois de marche ne lui a rien apporté.

Il y a 10 ans, la cathédrale était jonchée de sac à dos de partout, c’était très émouvant. Aujourd’hui, avec les mesures anti-terroristes et Covid, nous entrons par une porte sur le côté, très contrôlée, en nombre restreint et bien sûr sans nos sacs à dos.

Plus question non plus d’embrasser la statue de St Jacques.

Je ne peux pas me recueillir et me laisser aller à mes émotions comme j’en ai besoin.

Heureusement nous avons RDV avec Lou Anne qui nous rejoint sur la place et passe l’après-midi avec nous.

Nous allons prendre un ticket d’attente pour obtenir notre diplôme : la Compostella. N° 904 et 906. En attendant notre tour, à 19h, nous allons boire un café dans un bar.

  • Jolhan trouve une sacoche comme il le voulait. Il y met ses 10€ et je complète avec 15€.

Au retour : courses, repas. Je ne trouve rien à dire à Jolhan, sinon des banalités pratiques. Je suis épuisée, par le manque de sommeil de la nuit précédente, et le fait d’avoir beaucoup marché aujourd’hui.

Mercredi 6 octobre 21 : de Santiago à Fisterra – 0 km à pied – 90 km en bus

Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.

Après une très bonne nuit de sommeil, je me sens à nouveau bien avec moi-même.

Nous prenons un bon petit déjeuner, bien complet, compris avec le coût de la nuit.

Comme promis, nous envoyons notre photo devant la cathédrale, au gîte Santa Cruz de Sahagun, afin qu’il l’affiche.

Nous nous préparons à partir pour Fisterra, en bus.

Je veux prendre la coquille St Jacques et le briquet à essence, dans mon sac, destinés à être offerts à Jolhan, sur la plage. Sauf, que je ne les trouve pas et pense que j’ai été volée. Je m’en ouvre à Jolhan, avant de m’apercevoir que je ne cherchais pas dans la bonne poche !!!

Aussi, je les lui offre de suite et nous nous embrassons.

Pleins de bonnes humeurs, nous partons prendre le bus à une bonne demi-heure à pied du gîte. Sauf que nous sommes à la bourre et que nous arrivons à la minute prêt, pour partir et payons dans le bus. Ouf !

Le trajet dure 3h et nous sommes dans de bonnes conditions, assis l’un à côté de l’autre, pour échanger en profondeur, faire le point de cette expérience.

Jolhan, n’en revient pas : nous avançons tout seul, sans effort et avalons ainsi les kilomètres ! C’est magique ! et oui, rien de tel que d’être privés de confort pour pouvoir l’apprécier ensuite.

Je lui dis que mon compagnon a vécu une grave dépression à l’âge de 23 ans. Quand il me raconte comment il se sentait à cette époque, j’ai du mal à y croire tant il est positif et plein d’énergie aujourd’hui.

Alors ce n’est pas une fatalité, tout change dans la vie. Cela peut même, être une chance si l’on s’en remet, car elle permet une remise en cause totale de son être.

Jolhan voudrait marcher sur ces chemins avec son père et aussi avec des potes. Je suppose donc qu’il a aimé, sans toutefois vouloir l’avouer.

Je lui dis que c’est son retour dans 5 mois, après l’Andalousie qui sera le plus délicat :

  • Soit, il osera s’affirmer auprès de chacun, tel qu’il est, c’est-à-dire changé

  • Soit il reprendra ses anciennes habitudes comme si rien ne s’était passé.

C’est le choix qu’il aura à faire. Et ce choix sera déterminant pour son avenir.

Le ciel est parfaitement bleu, le soleil brille.

Après tous ces jours de ciel bas, c’est magique.

A Fisterra, nous prenons connaissance des lieux, faisons nos courses et mangeons sur un banc, face à la mer.

Puis nous nous dirigeons du côté de la grande plage de sable et les pieds dans l’eau nous ramassons les plus beaux coquillages. Mais pas de coquille St Jacques.

C’est là que j’avais prévu d’offrir la coquille magnifiquement décorée par ma nièce, qu’elle m’a offerte à mon départ. Je lui avais demandé l’autorisation de l’offrir au jeune que j’accompagnerai et elle avait accepté avec enthousiasme.

La mienne est moins belle, mais elle me suit fidèlement à chaque départ sur ces chemins depuis maintenant 13 ans. Alors, elle est irremplaçable.

Aujourd’hui, pas de tension entre nous, mais la satisfaction de la mission accomplie pour moi.

Les copains de Jolhan ne croyaient pas du tout en lui, concernant cette marche. Ils pensaient qu’il ne tiendrait pas une semaine. Aussi, il est fier et a bien l’intention de les narguer à ce sujet.

Je lui conseille de ne pas perdre ce capital musculaire qu’il a acquis. Ce mot « capital » associé au corps lui parait bizarre, d’habitude il s’agit plutôt d’argent.

Il se définit comme « non sportif ». Je lui ai dit à plusieurs reprise qu’il peut le devenir, il n’a que 18 ans.

Après une pause à l’autre bout de la plage, sur le retour, nous buvons un café et de l’eau, préparons les comptes.

Nous trouvons un joli coin pour recevoir Marie-Colombe : table et banc, sous les pins, en bord de mer. Nous lui envoyons l’adresse et faisons là notre dernier point, très positif.

A la question : comment te sens tu ? « comme un jeune homme de 18 ans ! »

Elle nous ramène à St Jacques, en 1h ½ .

Nous cherchons un resto et envoyons un SMS à Dimitri, qui nous rejoint.

Je lui paye le repas, en ce jour important de son 30ème anniversaire. Nous passons une très bonne soirée tous les trois.

Jeudi 7 octobre 21 : Santiago – retour

Après une bonne nuit de sommeil, nous trions et répartissons ce qui appartient à chacun dans nos sacs respectifs.

  • Nous sommes contents tous les deux de partir vers d’autres cieux.

Gil, une éducatrice, arrive vers 10h 20 et nous partons en direction de Ourense où je vais prendre mon bus retour. C’est sur leur chemin pour descendre en Andalousie.

En route, elle prend de l’essence, mange notre reste de pain et pâté. Nous discutons beaucoup.

Voici le moment de nous quitter. Le temps restant ne nous permet pas de nous éterniser.

Jolhan me prend dans ses bras.

Un dernier conseil : Et maintenant tu dis OUI à la vie, dans tout ce qu’il y a de Bien de Bon et de Beau. Souviens-toi, 3 B…dis-je en m’éloignant.

Comme la veille, j’arrive pile poil pour monter dans le bus qui part aussitôt. Ouf !

Le trajet en bus est très long, mais la coordinatrice n’a pas trouvé d’autres solutions.

Vendredi 8 octobre 21 à Toulouse

J’arrive à Toulouse vers 4h du matin. Mon compagnon m’attend à la gare routière et nous sommes très heureux de nous retrouver.

Je défais mon sac à dos, heureuse de cette mission pleinement accomplie.

Je n’ai pas de mal à reprendre pied dans ma vie habituelle. Grâce aux contacts téléphoniques quotidiens, une partie de mon esprit a suivi tous les évènements et j’ai aussi la volonté de « prendre le train en marche » pour continuer à vivre pleinement l’instant présent.

J’avais manifesté, auprès de la coordinatrice, mon souhait d’être de retour chez moi ce vendredi car ce soir, nous allons danser.

En effet, la danse est une de nos passions et l’école de danse dont nous faisons partie organise une boum tous les vendredis soir (http://www.paturet.com).

De plus, ce premier vendredi du mois est en mode « auberge espagnole ». Chacun apporte quelque chose à manger ou à boire et nous nous régalons ensemble sur tous les plans.

Durant la soirée, notre professeur de danse arrête la musique et commence un discours au micro, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il parle de moi :

« Il y en a qui, pendant le confinement ne se sont pas contenté de rester enfermé mais en ont profité pour aider les autres d’une façon ou d’une autre… »

Il vient me chercher et me promène à son bras, dans la salle de danse en continuant…

« Il y en a une, parmi nous qui est partie accompagner un jeune pour le sortir de son isolement, dans une marche durant un mois, 500 km… »

« Je suis dans mes petits souliers », intimidée d’être tout à coup l’objet de l’attention de tous.

La musique reprend et il danse avec moi. Puis tout le monde s’y met et il fait changer régulièrement de cavalier.

Enfin, une coupe de champagne attend chacun. On vient me féliciter, me demander plus de détail…

En fait, c’est mon compagnon qui est à l’origine de cet accueil solennel. C’est lui qui a apporté le champagne et donné les informations.

Merci à lui et à tous ceux qui ont manifesté leur intérêt pour cette cause.

J’ai fait le plein de la reconnaissance dont nous avons tous besoin pour nous sentir exister.

Cette soirée est venue pleinement couronner la fin de cette mission.