Progreso MARIN

Progreso nous a quittés le 30 juin 2016

Dans cet Espace Garonne de Gagnac où un bel hommage lui a été rendu, j’ai pu mesurer une fois encore, cette forme d’impuissance qui m’avait submergée lors du départ « volontaire » de ma sœur Camélia.

Comme tous ceux qui sont confrontés au fatalisme de ces départs, chacun va tenter de se défendre, en fonction de sa propre histoire, pour traverser cet inconfort psychique vécu de façon diversifié, d’avoir à lutter contre nos angoisses existentielles de base (morcellement, abandon, mort, amour).

De l’incompréhension au déni, en se murant dans un « Sois Fort », ou en passant par des besoins de rationalisation, nous affrontons nos émotions de peur, de tristesse, de colère, de souci, de nostalgie, de frustration, de haine, de culpabilité….., à chacun son affect ! ….afin de trouver des modalités d’apaisement ou de sérénité…. Et oui, la réalité est bien là ! Progreso nous a quittés après avoir traversé six longues années de souffrances existentielles.

Pour apaiser ma tristesse, mon désarroi, et mon impuissance face à ce fatalisme, je me replie et : j’écris… C’est mon « cri » ! Comme je l’avais fait pour ma sœur Camélia. Ils étaient de vrais amis, et de toujours. Beaucoup de points communs les rassemblaient : fils de réfugiés politiques ayant fui la dictature franquiste, issus de la même mouvance anarco syndicaliste, tous les deux, professeurs à l’éducation nationale, l’enseignement était leur thème de prédilection, pour ancrer leurs fidèles convictions aux valeurs humanistes.

J’écris dans mon besoin de les réunir tous les deux

 ProgresoProgreso  caméliaHélios                               Camélia

Leur rendre un hommage plein de respect et de pudeur, pour dire – combien je les aime, pour tout ce qu’ils m’ont apporté, à travers leur verve haute en couleurs et en valeurs.

Une mémoire à vif

La même année le 28 avril, j’ai vu partir ma mère. Le 17 juillet mon père l’a suivie. Et contre toute attente, dans sa désespérance, ma sœur les a rejoints le 4 août. Dans les jours qui ont suivi l’épisode, oh combien douloureux du départ volontaire de ma sœur, Progreso a su me tendre la main : discret, pudique, présent, bouleversant en tendresse, et en réconfort. Et là, j’ai osé lui ouvrir mon cœur, sur mes récentes découvertes introspectives en psychologie transgénérationnelle.

Afin de rester fidèle à notre échange ce jour-là, je reprends ce que j’ai écrit dans mon autobiographie signée Elie SERRATS « Qui déprime à la place de Qui ? » aux Editions Bergame (p.323 à 325 ).

[Dans mon texte, Proper est le « pseudo » de Progreso, Dalhie celui de ma sœur Camélia]

Dimanche 13 décembre

Depuis ces trois dernières semaines, je me sens de plus en plus libéré et serein dans la gestion de mes affects. Cela est dû en grande partie à la lecture du livre “Aïe mes aïeux” d’Anne Ancelin Schützenberger. L’auteur m’a enthousiasmé, et pour cause.

Après les obsèques de Dalhie, cet ouvrage m’avait été prêté par mon ami Prosper. Bouleversé par le départ volontaire de ma sœur, il m’avait rendu visite en août, au retour de nos drôles de vacances à la montagne, en Ariège. A cœur ouvert, je lui avais parlé de mes hypothèses concernant la transmission des problématiques dans les familles, et surtout ce qui avait émergé depuis le décès de mon père et de Dalhie. En particulier, la réactivation de nos souffrances existentielles en lien avec ma sœur aînée Marinette, à qui nous avions donné enfin une sépulture, en l’enterrant avec Papa. Je lui avais rapporté les propos de Dalhie quand nous avions déposé la photo de Marina avec sa mèche de cheveux sur le cœur de mon père. [….] 

Après m’avoir longuement écouté, Prosper m’avait dit : “Figure-toi que tout ce que tu me racontes là, n’a rien de farfelu. Te rappelles-tu ma dépression, quand tu m’avais rendu visite à l’hôpital, pendant que tu faisais tes stages en psychiatrie ? Et bien après cet épisode, mon fils m’a offert un bouquin “Aïe mes aïeux”. Il aborde ces questions, et il m’a beaucoup éclairé. Je le glisserai dans ta boite aux lettres. Le cas échéant, on en reparlera.”

Quelle aubaine ! Prosper m’apportait une pièce à conviction accréditant mes “élucubrations” psychologiques. Mais j’ai attendu avant de le lire. Je voulais faire aboutir la construction de mes propres certitudes dans ce domaine, avant de les confronter à un ouvrage écrit par une psychanalyste – psychothérapeute. La lecture terminée, je m’étais senti libéré, car j’étais enfin relié à d’éminents chercheurs en psy dont les travaux devenaient ma référence objective ! Séduit par le fond et la forme de l’ouvrage – et surtout par la multitude d’exemples présentés -, j’avais eu l’agréable sensation de retrouver dans ce livre la preuve de mes hypothèses psycho-généalogiques, remises en cause par Françoise. Mieux, malgré ces départs sans retour, je nous y retrouvais tous “En famille”, vivants et disparus – oh combien présents. De plus, cet ouvrage m’ouvrait des pistes nouvelles à explorer. Du pur bonheur !


Merci Progreso de m’avoir encouragé à développer la psycho généalogie. Cet outil d’accompagnement m’est toujours aussi précieux pour aider à dégager des scénarios de souffrance.


 

En 2012, j’ai essayé de lui tendre la main

Il était suivi par un psy lacanien.

Sans vouloir interférer dans ce travail, je lui avais proposé un accompagnement spécifique en 5 séances, (un contrat ciblé, en toute fraternité, sans compensation matérielle), juste pour tenter une expérience en psy profonde, en alternant la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung, le conflit OEdipien freudien, et mes outils d’analyse transactionnelle.

Le but était de tenter de colmater dans la mesure du possible, ses angoisses existentielles de base, dont la plus prégnante, était l’angoisse de mort. Je souhaitais lui faire expérimenter et conscientiser dans son intellect, une autre approche de la psyché qui confronte la dualité dans nos conflits, puis tenter de faire l’unité en soi dans la conjonction des opposés.

J’avais osé aller plus loin.

Je lui avais expliqué également – que la psychologie jungienne permettait à des athées, comme moi, comme lui, de sentir des énergies de l’inconscient collectif, énergies spirituelles (palpables, concrètes), qui n’avaient rien à voir avec un quelconque dogme. Que se connecter avec ces énergies apaisait la psyché, et entrouvrait de fait, une ouverture vers un monde à explorer par l’intuition créatrice, à travers le symbolisme universel et culturel.

L’homme au centre de l’univers en capacité de s’approprier ces forces pour les activer en lui, avec les autres, et dans la vie. Et pour in fine, sentir ce continuum de vie après la vie, rien à voir avec les enseignements dogmatiques et leurs icônes, le processus d’individuation de Carl Gustav JUNG. Tout simplement en travaillant le symbolisme, qui permet de travailler la dualité, pour trouver la 3ème voix, celle de l’unité en soi, ou du « divin en soi ».

Je lui ai pris des exemples concrets d’expériences faites par moi-même dans ce domaine, et en lui disant bien sûr de ne pas me croire, tant qu’il n’aurait pas validé par lui-même ces expériences que je lui décrivais.

Je l’ai senti hésitant. Je n’ai pas voulu insister car j’ai aussi ressenti sa peur d’avoir à se “déjuger” de convictions trop profondes en ce qui concerne la spiritualité associée aux dogmes. Il a pris le temps de la réflexion. Je n’ai pas su le rassurer à vouloir tenter cette expérience.

Lors de la cérémonie des obsèques de Progreso, dans cet Espace Garonne, où quelques mois auparavant, j’avais assisté à des conférences adogmatiques et non sectaires (je le confirme, quels que soient les procès d’intention qui puissent être faits, à l’association Source de Vie Toulouse, organisateurs de ces conférences, https://www.sourcedevietoulouse.fr/ ), j’ai été poussé par un profond désir de lui rendre hommage, en l’associant à ma sœur Camélia : « Même combat, même désespérance, même abnégation, pour avoir eu le courage d’aller jusqu’au bout de leur détermination ! Respect….. »


 

Je me suis senti poussé aussi, pour sortir de l’Ombre les pseudos utilisés dans le livre, (que j’ai signé Elie SERRATS : “Qui déprime à la place de Qui ?”) – pour les amener à la Lumière de leur rayonnement bienfaiteur, afin que là où ils se trouvent, ils puissent mesurer l’Amour que je leur porte.


PROGRESO       UNE MEMOIRE A VIF        CAMÉLIA

Ci-après, le chapitre que Progreso a spécialement écrit pour ma sœur Camélia, dans son livre Exilés Espagnols LA MEMOIRE A VIF (Récits / Loubatières)

SUICIDE D’UNE MORTE

« JUILLET , coup de téléphone, au camping de San Pau de Segurias, en Catalogne espagnole, où avec nos amis nous préparons la randonnée du Camino de Libertad, entre Ripoll et Prats-de-Mollo. Mon amie Camélia est morte ! Elle a mis fin à ses jours avec des barbituriques.

La tête enfouie dans mes mains, j’éclate en sanglots. Nous avons été impuissants à la garder de notre côté ! Morte à 54 ans. Près de vingt ans de déprime, un psychiatre, la bourrant de médicaments sans la faire parler. Tous les ans au printemps, époque où sa sœur aînée était décédée à l’âge de cinq ans, durant la seconde guerre mondiale, elle s’effondrait.

La Retirada. A. et P., après maints périples se retrouvent dans l’Ariège, à Saverdun. Chaleur des autres exilés, de quelques Français solidaires, mais surtout la brûlure de l’exil. Plus de toit, de métier, de langue… Tout à reconstruire. Leur fille, prunelle d’espoir. Un matin, de la fièvre, rien n’y fait. Le médecin décide de la transporter à l’Hôtel-Dieu à Toulouse. Deux jours après, la nouvelle tombe, elle est morte. Cris, larmes, fureur, ils se précipitent à Toulouse qu’ils ne connaissent pas. 1941, les heures sombres de la France. L’hôpital est sens dessus dessous dans ce quartier Saint-Cyprien. La guerre, les privations, l’afflux de réfugiés espagnols, la plupart des 20 000 qui sont arrivés dans la Ville rose, demeurent là. Barrière de la langue, pas moyen de retrouver le corps de leur fille. Où a-t-elle été enterrée ? Leurs mains se tordent de désespoir, une fois encore. Trou béant dans leur vie. Deuil impossible.

Cicatrices mal refermées, l’existence cahotante reprend. A. enceinte de nouveau. La vie comme du chiendent s’agrippe au-dessus du vide. Une fille : Camélia. Un faux deuil commence, Camélia marche dans les souliers de la défunte. Ses traits sont les mêmes, hallucination vivante ! Les parents superposent les deux images. Dans les pas de Camélia, en léger décalé, comme un calque, ceux de la défunte.

De Saverdun à Toulouse, la jeune Camélia ressent un besoin d’espace dans cette rue Courte du quartier Saint-Cyprien qui porte bien son nom. Cela manquait de lumière comme dans ces vieux quartiers des grandes villes. Où jouer ? Camélia s’empare de la rue malgré l’opposition de sa mère. Malheur ! Une vitre est cassée par mégarde. 50 ans de malheur ! Enfermée, elle ne sortira plus dans la rue. Dans la tête de l’enfant, l’incident a grossi. Le propriétaire fort mécontent veut qu’on lui paye le carreau. A cause d’elle, ils risquent l’expulsion. Sans que personne ne s’en aperçoive, sa vie commence à se fermer là ! Une de ses premières paroles quand nous nous sommes retrouvés après de longues années : « Cette fenêtre cassée qui s’est refermée ! » Enfermement de sa vie. Un amour brisé suivra. Je l’ai conjurée de parler, car les mots disent tous les maux. Rien à faire, elle avait peur. Peur qu’on lui refuse une retraite anticipée. Comme si sa vie n’était pas une longue Retirada !

Son mari, sa fille, ont déjoué plusieurs tentatives de suicide. Tous les ans, ses cours de prof d’histoire au lycée voisin se terminaient au mois d’avril. Le printemps était sa mort, mort de sa sœur, qu’elle a choisi de rejoindre après le décès de ses parents. Fâchée avec eux, après leur mort elle s’est écriée : « Je croyais que le problème, c’était eux ; je me rends compte maintenant que le problème c’est moi ! ». Onze jours après la mort du père, enterré avec la mèche et la photo de Marina, elle s’est supprimée. J’ai toujours le cœur serré pour cette fenêtre qui s’était déjà fermée dès l’année 1941, trois ans avant sa naissance.”

A toi, Camy, ma chère sœur, à toi mon cher Progreso, à vous deux